L'Opus Dei (enquête sur) (Bénédicte et Patrice des Mazery)
Cette fois il s'agit d'une enquête sans complaisance... les auteurs ont parcouru des milliers de kilomètres pour rencontrer leurs témoins.
Maria del Carmen Tapia a longtemps été secrétaire particulière de Josemaria Escriva de Balaguer et resta dix-huit ans numéraire de l'Opus Dei. Elle en a dirigé la section vénézuelienne... de façon pas assez stricte. Appelée inopinément à Rome pour en répondre, elle se trouve pratiquement séquestrée, interdite de retour alors qu'il était question au départ de quelques jours de mise au point tout au plus. Après plusieurs mois de terribles pressions, elle finit par démissionner comme on le lui propose.
D'après le récit fait dans son livre, les adieux du père Escriva sont tout aussi effrayants. "Il m'a menacée. Si je parlais à quiconque de Rome et de l'Opus Dei, il me déshonorerait publiquement. Il disait qu'il tenait la presse mondiale entre ses mains et que je serais en première page des journaux ainsi que ma propre famille. Il m'a dit : "Tu es une mauvaise femme, une perfide, une corrompue" et en partant vers la chapelle, il s'est mis à crier : "Ecoute bien : putain ! cochonne !". (p138)
Et donc l'Eglise Catholique allait faire un Bienheureux puis un Saint de cet homme. Jusque vers 1980, la canonisation, le fait de déclarer une personne sainte, suivait des règles très rigoureuses. On préférait en somme rejeter dix candidatures valables que d'en accepter une seul suspecte du point de vue de la doctrine ou des moeurs. On ne plaisantait pas avec l'"héroïcité des vertus".
Non retenu comme témoin : Vladimir Felzmann. Les juges, considérant que le prêtre, qui avait pourtant passé quatre années à Rome auprès du fondateur, ne l'avait pas suffisamment connu (...). Ignorés également le témoignage de Maria del Carmen Tapia. (p110)
En décembre 2004, une jeune fille, 23 ans, doit aller poursuivre ses études en Espagne. Pour se loger, on lui propose une résidence de l'Opus Dei. Pour rendre le loyer abordable, on lui propose de donner quelques heures de travail par jour.
Laure [prénom changé] découvre alors ses horaires véritables qui ne correspondent pas aux horaires annoncés : au lieu des 9 heures prévues, sa journée commence dès 7h15 le matin par le ménage du hall du Colegio Mayor et s'acheve en effet à plus de 23h30 (et non 23 heures) après le commentaire de l'évangile dans la chapelle et les dernières directives pour le lendemain. Chaque jour, on lui promet son contrat de travial... qui n'arrive pas. Du matin au soir, elle est accablée par les tâches ménagères, et plus jamais seule. (p184)
Le jour, dès que je sortais, il fallait que je prévienne quelqu'un et que je lui dise ce que je comptais faire. Il fallait que je leur donne mon itinéraire. (...) Je ne pouvais pas faire un pas dehors sans être accompagnée d'au moins deux personnes. (p185)
Peu à peu on commence à perdre sa vie privée et ses contacts avec le monde extérieur. Alors que j'avais des relations très fortes avec mes parents et mes amis, je n'avais plus la capacité de maintenir les liens. Je n'avais même pas le temps d'écrire. (...) Elles régissaient mon temps à ma place. Je devais demander la permission pour aller aux toilettes. Oui : en quinze jours, c'était déjà arrivé à ce point ! (p187)
Après que ses parents, alertés, l'aient non sans mal tirée de ce "couvent de l'enfer", et qu'elle se soit installée dans une colocation :
J'ai eu un immense coup de blues. J'avais toujours envie de pleurer, je m'étonnais de pouvoir choisir quand manger ce que j'avais préparé, de pouvoir choisir de sortir quand je le voulais. Pour aller à la banque faire changer mon adresse, je me suis surprise à faire des plans abracadabrants afin de trouver une excuse pour y aller... (p188)
Quand on se laisse écraser moralement quelque part (famille, travail...) on se laisse écraser moralement partout...
Sur les règles internes, témoignage :
"Il y avait un nombre incalculable de règles, confirme John Roche, concernant les vêtements, les relations avec les autres membres, comment écrire une lettre, comment répondre aux questions sur l'Opus Dei, quel cendrier utiliser, comment faire le meilleur usage du savon, comment fermer les portes, etc."
Ce qui rappelle le document que nous nous étions procuré sur l'un des centres de l'Opus Dei et dans lequel chaque tâche était détaillée, comptabilisée, évaluée avec une précision angoissante. (p152)
Sur le prosélytisme, élément essentiel du sectarisme, témoignage de Vladimir Felzmann :
"On se rapproche de quelqu'un, on lui dit qu'il est généreux, que Dieu l'appelle et qu'il doit rejoindre l'Opus Dei. L'amitié sert d'appât. Voilà comment ça se passe. Un jeune homme de dix-sept, dix-huit ans, membre de l'Opus Dei, organise toutes sortes d'événements pour les garçons de son école âgés de treize ou quatorze ans. Ils deviennent amis, ils commencent à partager des moments ensemble comme aller à la messe, faire des prières, etc. Puis, tôt ou tard, le jeune homme membre de l'Opus Dei dira à son ami qu'il a une vocation pour Dieu, qu'il est généreux et il l'incitera à rejoindre l'Opus Dei. C'est toujours comme cela que ça se passe." (p153)
Sur l'entrisme, au Vatican :
L'Opus Dei parvient à faire taire les critiques mais aussi à placer ses hommes au coeur même du pouvoir. Christian Terras est sur ce point affirmatif : "A la rédaction de Golias, on a décrypté l'ensemble des postes occupés par des membres de l'Oeuvre et, sous Jean-Paul II, c'est considérable. On peut dire que l'on a assisté à un véritable investissement par l'Opus des rouages d'organisation du Vatican".
Jusqu'aux sphères les plus hautes puisque, à l'heure où nous publions, deux cardinaux sont membres de l'Opus Dei. (p238)
Sur l'entrisme dans les milieux de la haute finance et de la politique, il y a aussi beaucoup de lecture. On apprend que la canonisation d'Escriva a été soutenue par le Premier Ministre de la République Française de l'époque, Raymond Barre. Voir par ailleurs sur ce blog comment les Presses Universitaires de France se sont fait les relais complaisants de la propagande de l'Opus.
Dans l'épilogue :
Beaucoup de personnes dans le monde brûlent du feu de l'Opus. Et il est de leur droit d'avoir choisi l'Oeuvre de Dieu et d'en accepter l'intransigeance.
"Certains y sont très heureux, affirme ainsi Vladimir Felzmann. Ceux qui ont besoin d'un plan de vie et qui n'ont pas besoin de réfléchir : ceux-là sont heureux."
Ceux-là ne connaissent pas le doute puisqu'ils "brûlent comme une torche", pour reprendre la maxime de Chemin. (p243)
Flammarion, 2005.
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