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Métastases, vérités sur le cancer (Laurent Schwartz)

Le Professeur Laurent Schwartz est un des grands noms de la cancérologie en France. L'ouvrage en question est d'abord une (très bonne) vulgarisation. On le voit par exemple aux titres guerriers de certains chapitres ou paragraphes : Le choix des armes... l'arme nucléaire... l'arme chimique... Ou des formulations qui ne peuvent passer que dans un tel cadre, comme :

 

A se demander si le cancer n'est pas la face cachée de la vie, sa part d'ombre. (p164)  

 

Il n'est en rien "dissident", il ne laisse même pas deviner qu'il existe une dissidence. Et pourtant, parfois, il s'en rapproche curieusement.  

 

Entrée en matière :

Le cancer tue plus de 145000 Français par an. Voilà une triste surprise, un drame permanent. Seconde cause de mortalité, après les maladies cardio-vasculaires, le cancer est aujourd'hui en passe de prendre la tête dans cette funèbre compétition. (p15)

 

Après avoir passé en revue les agents cancérigènes les plus connus, il admet que cela n'explique pas tout :

 

 

Quelle est la cause de ce cancer du poumon rarissime qui frappe le non-fumeur ? De ces 20% de mésothéliomes qui ne résultent pas d'une exposition professionnelle à la poussière d'amiante ? De ces autres cancers, les plus nombreux, pour lesquels nous en sommes réduits à des hypothèses ? N'aurions-nous pas fait fausse route en axant presque exclusivement la rechercher sur l'identification de l'agresseur : le cancérigène, sans nous interroger suffisamment sur la victime, sa vulnérabilité à l'attaque, voire sa complicité avec elle ? (p112)

 

Il explique qu'il y a des progrès, que les pronostics de certains cancers se sont énormément améliorés, que les traitement s'affinent... et pourtant on n'y arrive pas. Les traitement annoncés comme décisifs déçoivent les uns après les autres. Résultat, si la situation s'est beaucoup améliorée pour certains cancers :

En Europe, l'incidence des tumeurs cérébrales a doublé en vingt ans chez les hommes âgés de plus de soixante ans. Ces tumeurs sont toujours mortelles. En France, la mortalité par mélanome, un cancer de la peau, chez l'adulte de plus de trente ans, augmente de 8% par an. Entre 1980 et 1990, toujours en France, la mortalité par cancer du poumon a augmenté chez l'homme de 25%. (p24)

La détection des facteurs de risques n'est pas simple. Ainsi, pour le cancer du pancréas (un des pires) :

On a un moment soupçonné le café. Les malades atteints d'un cancer du pancréas buvaient plus de café que les autres. Mais il a bien fallu reconnaitre que la statistique était biaisée. Dans le service où a été menée cette étude, les autres hospitalisés, non cancéreux, souffraient d'ulcères. Ce qui n'incite pas à boire du café. (p60)

 

Aussi dans le rayon des fausses alertes :

 

Trente ans ont passé [depuis l'arrivée de la pilule contraceptive] et, à la lumière de statistiques portant sur des dizaines de milliers de femmes (...), il est devenu évident que cette forme de contraception n'était pas cancérigène. Mieux, sans que l'on ait bien compris pourquoi - ce qui est fréquent dans ce domaine - on a vu diminuer le risque de cancer de l'ovaire chez les femmes qui prennent la pilule. Contrairement, donc, aux craintes exprimées voilà trente ans par une grande partie du corps médical, la pilule contraceptive, loin de provoquer le cancer, semble plutôt le prévenir. (p35)

 

Cette corrélation négative imprévue autant qu'inexpliquée ne viendrait-elle pas de la disposition d'esprit qui fait que l'on recourt à cette méthode ?

 

 

Sur le cancer du poumon :

 

Le cancer des bronches, on l'a vu, prospère.
C'est pourtant dans son cas que l'on connait le mieux la nature du risque : il est rare avant la quarantaine, rarissime chez le non-fumeur. On connait donc un moyen très simple de faire baisser le taux de mortalité : persuader la population de renoncer au tabac ou encore l'y contraindre. (p50)

 

Facile à dire. Bien sûr, ce n'est pas lui qui nous dira que si tant de gens fument malgré tout ce qu'on peut savoir sur les effets, c'est qu'ils ont un problème avec le sens de la vie, le gout de la vie, problème qui pourrait être à la racine du cancer (voir ici sur ce même blog).

 

 

Pourtant il ne craint pas de s'en prendre au "système" (ou plutôt, aux "systèmes"). Il explique par exemple que pendant des années l'industrie du tabac a fait croire que les fumeurs passifs ne risquaient rien, sur la base de résultats d'expérience biaisés. Des rats élevés dans une atmosphère enfumée n'avaient pas de cancer du poumon. Sauf que ces animaux ont un nez bien plus développé et efficace que le nôtre pour filtrer les impuretés, et ils contractaient donc un cancer nasal. Dans le même ordre d'idées, ce seraient des expérimentations tout aussi délibérément biaisées qui ont conduit à la généralisation des crèmes solaires.

 

Sur ce qui m'intéresse le plus, il passe bien vite, non sans montrer un certain embarras...

 

Autre mythe qui a la vie dure chaque fois qu'il est question du cancer, celui du rôle du psychisme dans la genèse de cette maladie. A cet égard, on lira avec profit le superbe roman Mars de Fritz Zorn. Pour beaucoup, l'apparition du cancer est liée à un traumatisme psychologique important, l'aboutissement logique d'un stress, une victoire par abandon du conflit sur l'individu. Tout cela fait partie de l'observation. Une sagesse populaire, en somme. Chacun a pu voir autour de lui le cancer apparaitre après un divorce, un licenciement, des conflits familiaux, etc. (p176)

 

A quoi rime alors le mot "mythe" ? Il est vrai qu'il est flou et peut-être, par là, bien pratique pour ne pas se mouiller autrement.

 

La question qui se pose alors au chercheur, lorsqu'il tente d'analyser un phénomène de cette nature, est la suivante : par où commencer et que quantifier ? Plus encore que les conséquences de tel ou tel régime alimentaire, les incidences psychiques échappent bel et bien à toute mesure. Impossible donc d'expérimenter sur des animaux de laboratoire l'impact de tel ou tel stress. (p176)

 

Et pour lui cela s'arrête là, à son grand regret il est vrai :

 

(...) Il n'existe qu'une très mince littérature sur un tel sujet. Est-ce à dire que ce qui semble être une évidence pour tout un chacun ne préoccupe finalement que fort peu les scientifiques ? C'est dommage. Résultat, c'est le flou qui règne et surtout l'incapacité où nous sommes de nous prononcer sur le bien-fondé de tel ou tel mythe. (p177)

 

Au total, une demi-page sur cet aspect (je n'ai sauté que des remarques anecdotiques). Pourtant, d'anciens cancérologues cliniciens entrés en ce que j'appelle dissidence, comme Bernard Herzog, ont consacré des ouvrages dont il ne dit mot (il est vrai qu'ils semblent tout aussi excessifs dans l'autre sens). Comme il dit lui-même, c'est dommage. Il expose pourtant un parallèle entre cancer et maladie mentale, mais seulement pour mettre en évidence la ressemblance des situations d'échec...

 

Outre le cancer, l'autre grand échec de la médecine contemporaine, c'est la psychiatrie. Dans ce domaine, comme dans celui du cancer, il y a un dénominateur commun : le sujet fou ou la cellule folle. Or, à part quelques coups médiatiques, voire commerciaux, comme le Prozac, nous ne sommes toujours pas en présence d'une révolution. Comme pour le cancer on a vu venir, il y a quarante ans, des médicaments nouveaux d'une efficacité limitée, quoique réelle - les neuroleptiques et les antidépresseurs, par exemple -, le schizophrène étant mieux calmé par cette chimiothérapie que par la camisole de force. Il n'en est pas pour autant guéri. (p193)

 

Mieux que de "sujet fou ou cellule folle", il aurait pu parler de délires, proliférations incontrôlées de fantasmes déconnectés de la réalité, ou de tumeurs, proliférations incontrôlée de cellules déconnectées du plan constitutif de l'organisme.

 

Autre expression d'un certain désarroi (ou quoi d'autre ?) :

 

Ne buvons plus, ne fumons plus, ne restons plus sous le soleil, évitons autant que faire se peut une sexualité de hasard, bref, retirons-nous vite, de tout et du monde et nous serons alors - peut-être - sauvés.
Mais enfin sauvés de quoi ?
Le Salut est devenu pour le corps médical une forme sophistiquée d'Inquisition. Aujourd'hui on s'efforce de nous sauver de tout comme autrefois on voulait nous libérer du Diable. Les deux démarches mélangent étrangement les intuitions ésotériques et la terminologie médicale. (p181)

 

L'exorcisme est un peu l'ancêtre (toujours vivant) de la psychiatrie. Et tant qu'à explorer les incidences et connotations religieuses, à propos des guérisons inattendues voire miraculeuses, il admet qu'il peut y avoir des facteurs non identifiés. Et il renvoie dos à dos deux explications aussi opposées que simplistes :

 

Depuis un siècle environ, on a recensé une centaine de cas, scientifiquement corroborés, où des cancers diffus, métastasés, ont guéri spontanément.
Le fait est établi, indiscutable. Les croyants parleront de miracle, des pouvoirs de la foi et de la prière. Les chercheurs athées parleront d'un facteur immunitaire inconnu ou, tout bêtement, de la chance. C'est, dans un cas comme dans l'autre, avouer son ignorance. (p146)

 

Il ne donne pas de cas précis, mais vous pouvez facilement trouver sur le net des renseignements sur Vittorio Michelli, guéri à Lourdes en 1962 d'un ostéosarcome (à l'époque 20% de chances de survie... à condition de pouvoir amputer très vite et tout enlever) qui lui avait détruit une grande partie du bassin dont l'articulation d'un fémur, impossible à opérer, et qui a pu par la suite y retourner comme brancardier. Il n'empêche que, comme le note de son côté le Dr Moirot (voir ici sur ce même blog), on meurt beaucoup du cancer dans les couvents... il y a quelque chose à voir du côté de la religion, donc forcément de l'esprit, mais ce n'est pas simple. Et quand je vous dit que Laurent Schwartz tourne autour...

Hachette, Pluriel, 1998   



03/08/2013
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