La Fraternité Cannibale (roman) 4
Suite de ce qui précède : 1 2 3
10 juin 20**
Bonjour Bob,
Tu insistes, les histoires de contes ne te suffisent pas. Tu veux savoir comment j’en suis arrivée, par mes propres moyens, à vouloir qu’à terme on me mange. Tu me dis qu’on peut en tirer un livre qui pourrait bien se vendre. Je ne suis pas insensible à l’idée. J’ai eu des velléités littéraires à une époque. Mais il y a deux conditions impératives. La première, c’est que mon anonymat doit être garanti. Pas seulement pour ma tranquillité personnelle. Je l’ai promis à mes parents. Ils m’ont pardonné tout le chagrin que j’ai pu leur causer en disparaissant sans crier gare. Ils m’aident pour bien des choses, mais ils ne veulent pas que l’on sache, ou le moins possible. La deuxième condition, c’est que je dois être, contractuellement, cosignataire du bon à tirer. Pour les éventuels gains, le cinquante-cinquante que tu me proposes me convient. Tu vois que j’y ai déjà réfléchi y compris juridiquement.
Enfin, je ne te promets pas d’arriver au bout, je ne signe rien pour le moment. Il y a encore des pièges à émotions. Cela posé, je me lance.
Béréshit, Génésis, je suis née il y a vingt-six ans. Mes parents m’ont donc prénommée Chantal. Je t’expliquerai pourquoi j’ai opté pour Rose, à la Fraternité Cannibale comme sur les forums internet. Chantal, c’était largement démodé à ce moment, et ça l’est resté, mais c’était pour la sainte. Donc la baronne Marie-Jeanne de Chantal, ils la tenaient en haute vénération comme on dit. Je soupçonne que c’est parce qu’il s’agissait d’une aristocrate.
Je n’ai connu que des Chantal bien plus âgées que moi. L’une d’entre elles m’a dit son étonnement qu’on m’ait donné ce prénom. C’est un des éléments qui m’ont fait comprendre très tôt qu’entre moi et mes parents il y avait la religion. J’ai donc beaucoup réfléchi sur la religion, elle aura encadré ma vie. Je me souviens qu’à partir de six ou sept ans j’étais angoissée à l’idée que d’autres étaient voués à l’enfer éternel parce qu’ils n’avaient pas la bonne religion. Je me disais que certainement eux se figuraient qu’ils avaient la bonne, et que moi j’avais la mauvaise. Je ne peux quand même pas dire que cela m’obsédait constamment. Cela passait tout aussi régulièrement en priant, ou à l’occasion de la messe ou du catéchisme. Je me souviens particulièrement d’un soir où je faisais de moi-même mes dévotions à l’église de notre paroisse, pour ne plus y penser. Mais vouloir ne plus penser à quelque chose, c’est le plus sûr moyen pour y penser. Cela m’a joué bien d’autres tours. Le hasard m’a fait, à ce moment, tomber sur le Père Lapaire. Je savais, confusément, que c’était un prêtre un peu excentrique, un peu marginal, mais dont sa hiérarchie arrivait encore à tirer quelque chose. Nous avons discuté pour la première fois. Je n’ai pas senti, lui a peut-être senti, à quel point notre relation allait devenir forte quoique très discrète voire clandestine, que nous allions coucher ensemble. Non, je ne te parle pas de pédophilie. Cela s’est fait bien plus tard, quand j’étais adulte, et à mon initiative. C’était une parenthèse. Je reviens à ce premier entretien. J’avais huit ans. Je lui évoque donc mes inquiétudes. Voici qu’il me répond :
― Mais enfin, l’Église ne soutient plus ça !
― Depuis quand ?
― Depuis le dernier Concile, depuis 1965 !
Sur le moment, cela n’a fait qu’augmenter mon trouble. D’abord, l’idée était répandue, dans mon entourage, que ce Concile était sinon totalement satanique du moins sérieusement infiltré par Satan. Après tout il a aussi imposé la messe dans la langue actuelle du pays. Et moi, quand j’assistais à une messe en français, elle me barbait alors que le latin et le chant grégorien continuaient à me bercer. Mais je trouvais quand même plus digne d’un Dieu suprêmement juste de juger les gens sur leurs intentions et non pas sur le hasard de leur religion de naissance. D’un autre côté, est-ce vraiment Dieu qui change d’avis sur la question ? Si oui, est-ce qu’il a pensé à en tirer rétroactivement les conséquences pour les damnés précédents ?
Les non-cathos se figurent souvent que les cathos surtout intégristes doivent être accros à l’Évangile. Pas du tout, les intégristes sont souvent les plus prompts à dire que s’ils reçoivent une claque ils feront tout autre chose que tendre l’autre joue. Chez nous, la référence était plutôt un texte appelé « Chemin », dont j’ai eu à apprendre certains passages par cœur. Je ne les ai pas oubliés alors que parfois j’hésite sur le Notre Père que j’ai récité quotidiennement pendant des années. Il est vrai que dans ma famille on hésitait à adopter la version d’après le Concile, où on s’est mis à tutoyer Dieu comme si c’était un copain.
« Obéissez comme un instrument obéit aux mains de l’artiste – un instrument ne demande pas pourquoi il fait ceci ou cela – assurés que jamais on ne vous ordonnera rien qui ne soit bon et tout à la gloire de Dieu. »
« Regarde Jésus. Chaque déchirure est un reproche ; chaque coup de fouet une occasion de douleur, pour tes offenses et pour les miennes. »
Les deux m’ont assez vite rendue perplexe, et quand je le disais on me répondait que je ferais mieux de prier davantage. Par ailleurs, même ce Chemin avait ses détracteurs dans mon entourage, étant aussi quelque peu compromis avec le dernier Concile.
En complément du catéchisme et de tout ce qu’on pouvait me dire, je recevais chaque semaine, ponctuellement, un nouveau numéro d’un hebdomadaire pour petites filles cathos. Mais il ne venait pas de sortir, il avait été stocké hors de ma portée. Il avait déjà servi pour ma grand-mère, puis ma mère. Le hasard a fait qu’à chaque génération il n’y avait, dans la fratrie, qu’une fille pour plusieurs garçons. Je devais à mon tour en prendre soin, il pourrait bien servir encore pour ma fille à moi. Ce n’était pas de la radinerie. On ne lésinait pas pour moi en général, et encore moins sur tout ce qui pouvait contribuer à m’ancrer dans la religion. Par ailleurs il y avait toujours des magazines pour fillettes cathos. On me disait que ce n’était plus aussi bien. De fait, le jour où j’en ai acheté un avec mon argent de poche, je l’ai trouvé déconcertant et inintéressant… un peu comme la messe en français. Pourtant, mêmes mes frères avaient des magazines de leur temps, comme avant eux mes oncles maternels.
Je me trouvais donc très régulièrement plongée un demi-siècle en arrière, une période que des gens de mon entourage avaient vécue, mais néanmoins étrange. Sur les bandes dessinées, souvent captivantes et c’est ce que j’ai le mieux retenu, les femmes et les filles étaient toujours en robe ou jupe, jamais au-dessus du genou. À la rigueur, et très rarement, maillot de bain, mais jamais bikini. Les garçons portaient, jusqu’à l’adolescence comprise, des « culottes courtes » qui n’étaient pas des shorts, les curés et pas seulement les intégristes des soutanes, les policiers et les facteurs des képis bien rigides, et cetera. Les voitures avaient toutes des phares ronds. Il y avait encore des locomotives à vapeur. On ne téléphonait pas de n’importe où. Les écrans de télévisions étaient tout petits, noirs et blancs, avec des coins arrondis. Et bien sûr, pas d’Internet. Par contre on lisait beaucoup les journaux papier. Les hommes, et les gentils comme les méchants, pouvaient fumer n’importe où sans gêne. Cela me choquait. Mais pas les femmes, et cela m’intriguait. Les vrais héros étaient les missionnaires. Cela revenait très souvent, et ils me fascinaient. Mais il n’y avait pas de femme missionnaire. Et j’entendais fort peu parler des missionnaires de mon époque à moi. Je n’ai compris que plus tard qu’entretemps il avait eu ce qu’on appelle la décolonisation.
Enfin, et c’était peut-être le but essentiel y compris de mes parents, la condition féminine y était invariablement présentée comme une suite de dures épreuves à supporter avec patience, jusqu’au mariage non moins invariablement présenté comme une félicité sans nuage avec un homme en tous points admirable. Or, j’étais déjà en mesure de me rendre compte que les couples, dans mon entourage, pouvaient être loin de cet idéal. En outre il n’était pas envisagé qu’une femme puisse devenir autre chose qu’épouse et mère, ou alors religieuse. Je préférais religieuse.
Je me suis rendu compte, laborieusement, que j’étais seule à lire ce genre de choses parmi mes copines, pourtant toutes aussi cathos et certaines bien plus pieuses que moi. J’ai pris conscience que cela n’aidait pas à soutenir des conversations et nouer des amitiés.
(Je devrais en rester là sur ce thème… et pourtant il me retient, il reste quelque chose d’important, quelque chose qui a contribué à m’orienter vers le cannibalisme… oui, bien sûr…).
Très vite, mes héros et héroïnes préférés, dans ce magazine ou ailleurs encore et notamment sur Internet, ont été les saints martyrs chrétiens. J’en arrivais à déplorer qu’on ne donne pas davantage leurs noms comme prénoms. La baronne de Chantal est morte de sa belle mort. Bien sûr on ne manquait pas d’Etienne ou Stéphane ou Steve, bien le moins pour le tout premier martyr, ou des apôtres et martyrs, Pierre, Paul, Jacques, et cetera. Mais c’étaient d’abord des apôtres. Je connaissais peu de Blandine, Agnès, Damien, encore moins de Félicitée, Perpétue, Irénée, Pancrace, et cetera. Je comprenais que Pothin est gênant. Je me suis avisée que Crispine présente une rime ennuyeuse au moins en français. Dommage, elle m’émerveillait avec sa façon de répondre à un juge qui la pressait de rendre hommage aux dieux païens : « Un hommage imposé ne vaut rien ! ».
Mon sens critique ayant été aiguisé très tôt, j’ai remarqué qu’un certain Olibrius revenait souvent comme le persécuteur le plus odieux. Donc, il ignorait totalement que son nom allait devenir commun des siècles après lui. Puis, j’ai vu que ce ne pouvait pas être le même. Les époques étaient trop différentes. Une famille, une dynastie de persécuteurs odieux ? Cela me troublait.
Le hasard m’a fait retomber, encore à l’église, sur le Père Lapaire. Il ne m’avait pas oubliée et je ne l’avais pas oublié non plus. J’ai parlé d’Olibrius et de ma perplexité. Il m’a répondu en riant que même dans les Saints Évangiles il y a des choses qui trahissent l’imagination de certains rédacteurs ou transmetteurs. Il m’a montré des exemples concrets. Ne voulant surtout pas déstabiliser ma foi, il m’a longuement expliqué, avec des termes adaptés à mon âge, que rejeter ces textes pour ce genre de raisons reviendrait à jeter le bébé avec l’eau du bain. Il m’a laissé son téléphone et invitée à le contacter quand je voudrais.
Peu à peu ma dévotion s’est tournée vers des saints et des saintes qui se martyrisaient eux-mêmes. On n’est jamais si bien servi que par soi-même. C’était une étape vers le cannibalisme.
Je m’arrêterai là pour aujourd’hui. La suite normale est quelque chose de très dur pour moi, et pourtant incontournable. J’aimerais que tu me rassures un peu plus sur tes intentions et motivations. Désolée de ne pas être plus précise.
Amicalement,
Rose.
11 juin 20**
Bonjour Bob,
Là, tu m’épates, et tu marques un sacré point. Tu as donc deviné, avec seulement mon allusion à propos du Petit Chaperon Rouge. Et j’apprécie à nouveau ton tact.
C’est l’événement que je considère, avec le recul, comme le plus décisif pour me faire tomber dans la Fraternité Cannibale, en-dehors bien sûr du premier contact avec elle. À onze ans, il m’est arrivé ce que je redoutais le plus, ce que mes parents redoutaient le plus pour moi, plus même que la mort qui aurait fait de moi un ange. J’ai donc été la proie d’un pédophile.
C’est allé très vite. On était à la campagne, je me suis écartée pour chercher un coin tranquille pour faire pipi. Peut-être que je suis allée trop loin, on m’avait tellement dit que c’est mal de se faire voir en train de faire ça. Il m’a prise complètement par surprise. Il n’a pas été brutal. Je n’y comprenais d’ailleurs rien. Comme n’importe quel enfant, on m’avait mise en garde contre ces gens. On m’avait même dit qu’il s’en trouvait parfois parmi les prêtres (ceux inspirés par le dernier Concile, bien sûr), ce qui prouve à quel point le Diable est fort et combien il est important de beaucoup prier. Mais je pensais, parce qu’on m’avait mal expliqué ou parce que j’avais mal écouté, que c’était toujours violent et atroce, qu’on se retrouvait avec le vagin ou l’anus esquinté à vie. Car on ne m’avait pas épargné ces détails. Il m’a relevé la robe, baissé la culotte, et c’était terriblement choquant, et humiliant, et angoissant, mais pas douloureux. Des caresses, pas de pénétration. Il me maintenait, mais sans serrer plus que nécessaire. J’ai fini par me débattre. Je crois bien qu’à un moment j’ai pu le griffer, et que ça ne l’a pas rendu plus violent. Il continuait à me dire des mots très tendres. J’étais surtout tétanisée. Des gens sont intervenus assez vite. Il s’est enfui. Il a été par la suite retrouvé et condamné.
J’ouvre une parenthèse. Son sort ultérieur m’a toujours laissée indifférente. C’est donc un pardon minimal mais un pardon quand même, à l’homme qui m’aura fait le plus de mal, directement ou indirectement. Et pourtant la question générale du pardon n’est toujours pas résolue pour moi. Je ne pense pas seulement à la FC, mais aussi à ma mère. Tu comprendras quand j’arriverai à certaines péripéties. Pourtant j’ai besoin d’elle, et je fais tout pour lui être utile.
Enfin, puisque j’accepte désormais de vieillir, inconvénients compris, s’il m’est donné de pouvoir vieillir, sauf imprévu j’ai le temps. J’y reviendrai peut-être, mais pour le moment je ferme cette parenthèse.
J’ai seulement alors appris que c’était un pédophile. Je me suis dit qu’il n’avait pas dû pouvoir aller au bout, que je l’avais échappé belle. Je me suis carrément écriée : « Merci mon Dieu ! ». Ça a été le début du vrai cauchemar. Que n’avais-je pas dit ! Non, je ne lui avais pas échappé, il y avait des traces. De nouveau je ne comprenais plus rien. Il y avait ce liquide bizarre. Je l’avais vu et senti, mais je n’avais pas fait le rapprochement avec cette fameuse petite graine qu’un futur papa doit transmettre à une future maman. Je ne savais pas vraiment comment ça se présente. On m’a conduite au médecin puis au plus proche commissariat. Des policiers en civil m’ont interrogée longuement, sérieusement, en notant tout. Au moins, ils ont commencé à relativement me rassurer en me disant des choses comme : « On les connait, ces histoires… ». Je crois que je leur dois de ne pas avoir été plus traumatisée encore. Mais après, j’ai eu affaire au confesseur, et à un psy qui partageait les idées du confesseur. Il était anormal, voire inadmissible, voire diabolique, de ne pas être plus bouleversée que je l’étais, que c’était même encore plus inquiétant. Alors, inévitablement, j’ai fini par entrer dans le moule, peut-être bien en rajouter, me dire que j’avais été irrémédiablement souillée, que ma vie était vraiment dévastée, que je ne pourrais peut-être jamais devenir une maman. Et d’ailleurs j’ai cessé de jouer à la poupée. Mais je reviens à mon histoire.
Le plus dur n’a pas été sur le moment. Je ne comprenais toujours pas. C’est plutôt à l’adolescence que certains aspects me sont apparus et m’ont terriblement secouée, une des pires épreuves de ma vie. J’y reviendrai, car entretemps il y a eu ma rencontre avec l’idée même de cannibalisme, sans laquelle on peut difficilement comprendre les suites de cette histoire.
La suite demain, mais je la sens mieux.
Amicalement,
Rose.
Le même jour un peu plus tard.
Rebonjour Bob,
Je n’ai pas pu attendre demain, les mots se précipitent. J’arrive donc à mon premier contact avec l’idée même de cannibalisme, hors contes de fées. Je devais avoir treize ans. Dans notre jardin, il y avait des rosiers, des roses trémières, des lauriers roses. Je me souviens d’un jour où je m’en occupais avec Maman.
J’ai donc écrit « Maman », spontanément alors que j’ai plutôt l’habitude de m’y référer comme à « ma mère » et souvent de façon bien moins tendre encore. Mes sentiments évoluent là aussi, et même depuis mon précédent message de cet après-midi. Enfin, je reviens à cet épisode.
Je lui dis à un moment, inspiration soudaine :
― Maman, c’est bizarre, presque toutes les fleurs sont roses…
― Et pourquoi pas, ma chérie ? J’aime beaucoup, et ton père me laisse toute latitude. Tu n’aimes donc pas ?
― Mais si ! J’aime beaucoup ! Seulement…
― Seulement quoi ?
― Est-ce qu’il y a treize ans tu aimais déjà le rose ?
― Oui, ma chérie, mais je ne vois vraiment pas où tu veux en venir.
― Vous avez choisi mon prénom comment ?
― Là aussi, ton père m’a laissé toute latitude. Quel rapport, ma chérie ?
(A-t-elle répété aussi souvent « ma chérie » ? Décidément tout est compliqué et instable dans mes rapports avec elle… enfin, il parait que les rapports mère-fille ne sont jamais simples comme peuvent l’être, bons ou mauvais, ceux mère-fils ou père-fils ou père-fille…).
― Maman, pourquoi tu n’as pas choisi Rose ?
― Voyons, Chantal ! Tu ne sais pas que ce sont les mécréants déclarés qui donnent à leurs filles des noms de fleurs ?
― Et Sainte Rose de Lima, alors ? Je viens de lire sa vie. Je la trouve tellement plus sympa que la baronne de Chantal !
Elle m’a considérée avec étonnement et sévérité. Je me demande ce que cela aurait été si je lui avais dit qu’une autre Rose historique venait de conquérir mon admiration et ma ferveur dans ma boulimie de lectures disparates. Rose Keller, chômeuse, s’est trouvée un jour engagée par un noble du voisinage pour faire le ménage moyennant rétribution. Il l’a affreusement torturée et violée. Elle lui a échappé en se sauvant par la fenêtre à l’aide d’un drap. Elle l’a dénoncé. Mais il était marquis, de Sade pour la précision. Il s’en est tiré à bon compte, quelques mois sous les verrous. Je ferme cette parenthèse, je reviens au sermon de ma mère :
― Ma chérie, je t’aime beaucoup. J’aime tes lectures pieuses. J’apprécie que tu m’aides au jardin alors que tu pourrais jouer.
Elle marque un temps. Je devine la suite. Il va y avoir un « mais premièrement » culpabilisant suivi d’un « deuxièmement » ironique qui cassera ce que j’ai réellement cherché, un dialogue. Cela ne manque pas :
― Mais premièrement il n’est pas convenable de parler ainsi d’une sainte, ta patronne qui plus est ne te déplaise. Je te conseille de le dire en confession. Deuxièmement, avec la meilleure volonté nous ne pouvions pas attendre que tu aies treize ans pour te demander de ratifier notre choix.
Nous n’avons plus rien dit, je n’ai pas tardé à aller jouer. Et encore, je ne lui ai pas précisé, je savais déjà un peu dissimuler, que si je préférais Rose à la baronne c’était que la première était une religieuse alors que la seconde était mère de famille. Mais je ne le disais pas, alors même que cela n’aurait sans doute pas déplu.
Maman ne m’a pas donné envie d’être maman moi-même, ou elle a contribué bien malgré elle à me faire comprendre que je ne suis pas faite pour ça. Au moins, elle m’a transmis sa passion du jardinage. Mais à ce jour elle ne m’a vraiment servie, cette passion, que dans le cadre de la Fraternité Cannibale. Car, comme je te l’ai déjà dit, on n’y mange de la chair humaine que le vendredi soir.
Quelques jours après cette discussion, et je me suis demandé s’il n’y avait pas un lien de cause à effet, nos chères fleurs se sont couvertes de pucerons assortis, verts pour les roses, d’un orange bien vif pour les lauriers roses, d’un bleu presque noir pour les roses trémières. Un oncle connaisseur de ces choses a réglé le problème de façon écologique, en invitant, je ne sais plus bien comment, des coccinelles. Pour moi, c’était fascinant. Cela restait encore un peu des « bêtes à Bon Dieu », donc des saintes du monde animal au même titre ou presque que les agneaux, les colombes, les bœufs, les ânes. Il n’y avait pas que des adultes avec leurs sept points noirs chacune, d’où le nom savant de Coccinella septempunctata. Encore du pédantisme et je ne fais que commencer. Je t’ai déjà expliqué qu’il m’aide à gérer les émotions. Et ce nom, je l’ai retenu, je ne viens pas de consulter le Net ou un ouvrage ad hoc. Peut-être encore l’emprise du latin de la messe.
Il y avait les bébés, si l’on peut dire. Ils sont plus grands que les adultes et ne leur ressemblent pas plus qu’une chenille au papillon qu’elle doit devenir. En fait cela s’appelle des larves, mais pour moi c’étaient des bébés y compris affectivement. Je ne me lassais pas de les observer. Je remarquais que les pucerons se laissaient très tranquillement dévorer. Aucun ne réagissait quand une coccinelle bébé ou adulte les engloutissait l’un après l’autre. Je me suis avisée au bout d’un temps qu’il n’y avait quasiment plus de pucerons, et encore beaucoup de coccinelles bébés donc sans ailes et qui ne pouvaient que ramper lentement. Qu’allaient-elles trouver à manger ? Ne devrait-on pas amener d’autres pucerons, juste ce qu’il faut ? Le même tonton, que j’aimais bien, me l’a expliqué : les plus vigoureuses allaient dévorer les plus faibles. Cela m’a horrifiée, scandalisée. J’ai appris que, si elles ne le faisaient pas, toutes mouraient. En le faisant, certaines parviendraient à se nymphoser, donc à atteindre le printemps suivant pour renaitre à la vie avec des ailes et sept points noirs. Je n’étais pas convaincue. Pourtant j’ai pu observer la chose, j’y passais du temps, et constater que des bébés se laissaient manger avec autant de bonne volonté que les pucerons. Je me prenais à penser qu’ils étaient d’accord, voire joyeux. En somme ils avaient justifié leur existence sans avoir à subir les aléas d’une vie adulte.
J’ai appris dans le même temps que chez nombre d’espèces une relation amoureuse se conclut par la consommation, dans tous les sens du mot. Madame dévore Monsieur. Chez les mantes religieuses, on a fini par constater que ce n’est qu’occasionnel, en cas de pénurie. Mais chez beaucoup d’araignées c’est la règle. Et ces bêtes, c’est quelque part un peu plus proche de nous puisqu’une araignée bébé est vraiment une araignée en miniature, j’ai pu aussi l’observer. Il y avait quand même quelque chose de choquant. J’avais le plus grand respect pour la Règle d’Or, traiter les autres comme on veut être traité. Si je mange les autres, je dois accepter d’être mangée à mon tour, et même le vouloir.
Toujours dans cette période, du moins cela me revient en même temps, j’ai pu observer autre chose.
Au bord du sentier de notre promenade, un serpent mange un autre serpent. Plus précisément, l’oncle aux coccinelles y étant pour me renseigner, je vois d’abord une couleuvre verte et jaune (c’est le nom de l’espèce, celle-là était plutôt noire mais ça arrive, il y en a aussi de très claires… comme chez nous en somme). Elle mange une couleuvre vipérine bien plus petite, certainement une jeune. Pour moi, c’est encore un peu du cannibalisme, et un signe de plus.
Peu après, je suis tombée sur encore autre chose qui me rapprochait de l’humain. Toujours avide de lectures pieuses mais peut-être déjà plus dans l’esprit qu’on m’avait inculqué, je suis tombée sur un saint un peu particulier, Siméon le Stylite. Il a vécu très longtemps, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, douze mois sur douze, sur une colonne, exposé à toutes les intempéries. On lui faisait passer sa boisson et sa nourriture au moyen de paniers et de cordes. L’histoire ne dit pas comment il traitait ses autres besoins, ou je ne m’en souviens plus. Cela ne suffisant pas, il s’adonnait à des mortifications insensées. C’est d’ailleurs courant chez les saints. Rose de Lima, ma patronne d’adoption, n’y allait pas non plus avec le dos de la cuillère. Elle en est morte à trente-et-un ans. Et justement je détestais déjà l’idée de vieillir, de devenir moche et faible. C’est bon pour les mamans qui peuvent devenir grand-mamans voire plus, mais j’avais fait une croix, c’est le mot, là-dessus. D’autant que mes deux grands-mères, toujours là, ne m’encourageaient vraiment pas à rejoindre leur catégorie avec leurs perpétuels gémissements et jérémiades. D’ailleurs on nous dit assez que la planète est surpeuplée. Donc il y avait là pour moi une fascination, une piste, et pourtant quelque chose n’allait pas. J’ai bien un peu essayé, par intermittences mais étalées sur des années, de me mettre quelques jours au pain et à l’eau, voire de me fustiger avec des orties ou autres. Mais je finissais à chaque fois par me demander, à quoi bon ? J’ai consulté le Père Lapaire. Toujours aimable, toujours disponible, il m’a remis les idées en place :
― Nous ne devons chercher ni les souffrances, ni les plaisirs, mais nous devons accepter les uns et les autres. Les souffrances, seulement si elles s’imposent. Tu n’as donc pas assez d’occasions d’en baver comme ça, ma petite Chantal ?
― Je ne sais pas, mon Père.
― Et les plaisirs, c’est la même chose s’ils s’offrent sans autre inconvénient. Si on en fait une proie que l’on traque ils se changent vite en leur contraire, pour soi-même ou les autres. Et donc, à chaque fois, que ce soit agréable ou désagréable, on doit considérer qu’on le mérite, punition ou récompense, même si on n’y comprend rien… ou du moins on doit essayer. C’est comme le pardon, c’est plus facile à dire qu’à faire.
Je lui ai demandé d’où il tirait ça. Il m’a dit que c’était en substance le commencement du Sermon de Bénarès, lui-même commencement de la prédication du Bouddha. Je lui ai demandé s’il ne valait pas mieux, alors, se faire bouddhiste. Il m’a dit des choses décourageantes sur cette religion, y compris qu’on y pratiquait aussi toutes sortes de macérations épouvantables nonobstant l’idée de départ. Il restait quand même catho. D’ailleurs j’ai découvert depuis qu’il en avait rajouté en chargeant le Bouddhisme, qui est bien plus diversifié et contrasté encore que le Christianisme. On finit par se demander ce que les bouddhistes peuvent bien avoir en commun, passons. Quand je lui ai demandé, par la suite, si l’athéisme n’était pas finalement aussi bien, il n’a pas perdu le sourire. Il m’a dit :
― Ma petite Chantal, si ça t’arrange de croire et parier là-dessus, il y a toujours une foi et un pari qu’on le veuille ou non, pourquoi pas ?
― Vraiment ?
Je savais déjà qu’il n’allait pas autrement me pousser. Il restait un prêtre catholique.
― Si tu estimes que l’esprit, le plaisir et la souffrance, le désir et la peur, la liberté de choisir ceci ou cela, apparaissent par génération spontanée au sein d’une matière où il n’y en avait pas du tout, ne te gêne pas…
Et je me suis dit qu’il avait raison une fois de plus, même s’il m’énervait de plus en plus avec ses « ma petite Chantal ». Je détestais toujours mon prénom.
Je reviens à Siméon. Ses macérations ont fait que des vers sont entrés dans ses plaies et s’en nourrissaient. Quand un de ces vers tombait à terre… enfin, sur la colonne, il le ramassait précautionneusement et le replaçait pour lui permettre de continuer à manger ce que Dieu lui donnait. La baronne de Chantal était quand même plus raisonnable. Et d’un autre côté, il y avait quelque chose qui sonnait juste, comme un retour. Nous n’en finissons pas de dévorer les cadavres d’être sensibles. J’ai pu avoir, par la suite, des velléités végétariennes, mais je me suis dit que les plantes, en y réfléchissant…
(Je préfère en rester là sur ce sujet…).
Et donc, dans cette période de mes treize ans, le cannibalisme s’invitait de partout, et durablement, dans mes réflexions. J’entendais bien régulièrement à la messe, je n’avais pas encore commencé à sécher la messe, le fameux « qui mange ma chair et boit mon sang… ». Cela me troublait. J’en ai parlé à mon confesseur qui m’a dit que c’est fondamental et très important. La preuve, le Diable en a très peur puisqu’il a placé par avance ces mêmes mots dans une religion païenne diabolique, pour singer et affaiblir par avance la religion chrétienne. Drôle d’histoire. Déjà, j’ai toujours eu un peu de mal avec le Diable. Je sais bien qu’il est là pour ça mais quand même. J’ai recouru encore au Père Lapaire. Il m’a expliqué, lui, que cette histoire de Diable qui avait singé par avance la Révélation, c’était une idée de Tertullien. Je connaissais Tertullien par mes histoires de martyres. Il n’admettait pas qu’on puisse pardonner à ceux qui y avaient échappé en simulant une abjuration. Je trouvais cela excessif mais quand même pas méprisable. Le Père Lapaire me l’a confirmé, et que globalement c’était un fanatique que l’Église a refusé de reconnaitre comme Docteur. Et donc mon confesseur, pour qui j’avais encore un peu d’estime, était fort mal inspiré dans ses lectures. J’ai réagi :
― Il devait quand même bien être saint, non ?
― Même pas. Est-ce que tu connais des Tertullien, ma petite Chantal ?
― Non, mais je ne connais pas non plus de Pothin ou de Crispine, par exemple. Je croyais qu’ils l’étaient tous, en ce temps…
Il m’a dit encore d’autres choses sur le rigorisme de Tertullien, notamment sa façon de considérer les femmes. Je ne pouvais que me rendre à ses raisons. Je me disais, peut-être, après tout, que l’Église reformatée par le dernier Concile est meilleure. Mais sa messe me barbait toujours, pas celle en latin. Et puis quand même, Tertullien ou pas, païen ou pas, il y avait ce « qui mange mon corps… ». Le Père Lapaire m’a expliqué un jour comment il convenait, selon lui, de comprendre l’histoire de Jésus. Il n’avait pas forcément voulu être crucifié. Mais c’était quelqu’un qui avait montré, avec plus de force et d’éloquence que jamais, par sa parole et aussi par sa vie, l’importance du pardon. Jusqu’à tendre l’autre joue n’en déplaise à mes intégristes de parents. Pardonner, ça veut dire donc se refuser à renvoyer le mal, la souffrance, à l’expéditeur… donc garder pour soi ce mal et cette souffrance, et les endurer jusqu’à en mourir, et la récompense est au-delà de tout ça. J’avais du mal à suivre. Il m’a fait un autre cours sur le Bouddhisme, assorti des mêmes réserves. On y trouve des compléments utiles, il m’a conseillé des lectures là-dessus. Je lui ai demandé s’il conseillait ces mêmes lectures dans ses sermons. Il m’a dit qu’il faut bien s’adapter au niveau de ses interlocuteurs, de son public. Il m’a d’ailleurs cité Saint Paul qui, selon lui, dit à peu près la même chose dans une épitre, qu’il s’est fait juif avec les juifs, païens avec les païens, et cetera. Il m’a dit qu’aborder ces questions dans ma famille et mon entourage serait peu judicieux. Je l’avais déjà compris.
Enfin, puisque des signes peut-être venus d’au-delà de toute intention humaine m’invitaient à m’intéresser au cannibalisme, je me suis documentée. C’est facile avec Internet. Je suis tombée sur le récit d’un missionnaire, et j’avais toujours cette fascination pour ces gens. Celui-là, Jean de Léry, était certes protestant. Cela m’aurait révulsée quelques années auparavant. Mais j’avais évolué. Même mes parents concédaient des mérites et des vertus à Albert Schweitzer, autre missionnaire protestant. Cela se passait au seizième siècle, au Brésil. Arrivant un jour dans un village tupinamba, et voyant plusieurs Indiens préparés et sur le point d’être tués, Léry a reconnu une jeune femme qu’il avait convertie au Christianisme lors d’un passage précédent. Il s’est approché d’elle et lui a proposé de prier Dieu, lui disant qu’il allait intervenir pour la sauver. La femme s’est mise alors à rire, déclarant que « Dieu n’y était pour rien, que c’était son tour d’être mangée, et qu’elle espérait que sa viande serait bonne ». Après quoi, j’ai retenu mot pour mot : « Tout en riant, elle s’avança, fit un signe au bourreau et elle mourut ainsi ».
Ainsi donc, au moins une chrétienne a un jour, de très bon cœur, offert sa vie pour nourrir ses frères et sœurs en humanité. Au moins une fois quelqu’un a considéré que c’est là une façon rationnelle et joyeuse de régler le problème de la chair. Mais il n’y avait aucune chance de le trouver dans le cadre du Christianisme. Bien sûr, il se dit, sérieusement ou pas, que d’autres missionnaires ont été pris au mot quand ils ont prêché à leurs nouvelles ouailles : « Qui mange ma chair et bois mon sang… ». Ne pourrais-je pas espérer trouver, dans un coin reculé de la planète, une tribu supposée arriérée qui pourrait m’inviter dans sa marmite ? Mais à supposer, aurais-je le temps de vraiment faire connaissance au préalable, donc de pouvoir les aimer ? Je ne voulais quand même pas être mangée par les premiers inconnus venus. Et puis je voulais gouter au préalable à la chair humaine. Maintenant, c’est fait. On aurait pu me manger avec ma permission, mais on a manqué l’occasion.
Un détail m’a d’abord déconcertée. Cette femme était nue, avait toujours vécu nue. Et puis, le soir même, après le coucher, le besoin m’est venu, de je ne sais où, de me mettre aussi nue sous les draps. Je pensais ne le faire que quelques minutes. Et puis, au matin, je me suis rendu compte que j’avais dormi ainsi et que c’était merveilleux. J’en ai vraiment pris l’habitude.
J’étais seule dans ma chambre. Je pouvais très vite mettre ma robe de chambre au besoin, sans quitter la couette, très discrètement. Je m’y étais entrainée. C’était peut-être ma première expérience de clandestinité, ce qui allait me servir lors de mes contacts avec la Fraternité Cannibale. Mais me montrer nue ou même en partie nue, sauf strictes raisons médicales, cela me faisait horreur. J’avais été éduquée ainsi. En outre je n’ignorais pas que cela pouvait attirer les pédophiles et autres violeurs. Je considérais avec la plus grande réprobation les femmes en short ou débardeur dans la rue. Bien sûr il y avait les obligatoires activités sportives, qui d’ailleurs me plaisaient. Mais dans mon collège catho cela se faisait strictement entre filles.
Avec tout cela, pourtant, il y avait cette idée ou ce fantasme. Donner ma vie et ma chair pour nourrir les autres, en étant nue devant eux pour que l’offrande soit parfaite, cela commençait à me hanter. Je n’imaginais pas que cela pourrait se concrétiser un jour. Et donc je repensais souvent à cette femme, avec tendresse et envie. Je la priais parfois comme si c’était une autre sainte, aussi sud-américaine mais bien plus aimable que Rose de Lima. Et d’ailleurs, ne connaissant pas son nom et supposant qu’elle avait reçu un prénom chrétien, je me suis mise à la prier aussi sous le nom de Rose.
Et puis encore un missionnaire, encore un Jean, catho cette fois. Jean de Brébeuf, jésuite, vivait parmi les Hurons qui l’acceptaient. Il étudiait leurs traditions. Seulement ils étaient en guerre contre les Iroquois. Ces derniers, en 1649, capturent le bon père. Ils le font passer au poteau de torture, avec eau bouillante sur le crâne et autres gentillesses. Il reste stoïque, jusqu’à susciter leur admiration. Vont-ils l’épargner et se convertir ? Quand même pas. C’est un brave, donc il est digne d’être mangé. Et on mange au moins son cœur pour capter sa force.
Étant donc toujours chrétienne, j’ai cherché des histoires de cannibalisme dans la Bible. Tout ce que j’ai trouvé d’un peu concret est dans 2 Rois chapitre 6. C’est pendant le siège d’une ville. Une femme se plaint au roi : « Cette femme-là m’a dit : Donne ton fils ! Nous le mangerons aujourd’hui, et demain nous mangerons mon fils. Nous avons fait cuire mon fils, et nous l’avons mangé. Et le jour suivant, je lui ai dit : Donne ton fils, et nous le mangerons. Mais elle a caché son fils ». Il y a aussi, chez Ezéchiel par exemple, de sinistres prophéties sur les pères qui dévoreront leurs enfants. Mais cela fait partie d’un châtiment divin effroyable, annoncé comme tel.
Sur ces joyeuses autant que pédantes évocations, je te dis à demain. La suite sera encore très dure, il faut que je m’y prépare.
Amicalement,
Rose.
La suite : 5
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