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# Martyre et totalitarisme

Il me rendra fou, celui-là. Il a trouvé (pas sous sa forme actuelle) le soutien chaleureux de Jean-Claude Guillebaud au Seuil, mais ça n'a pas suffi, il a encore reçu deux promesses de contrats d'éditeurs dont un dûment signé... mais rien à faire.

Préambule :

Il s'agit ici de montrer à quel point les systèmes totalitaires utilisent leurs martyres, les poussent, les manipulent, exploitent à fond leur exemple et leur mémoire. Et cela n'a rien de mystérieux, les raisons et mécanismes sont multiples.
Premièrement, un système totalitaire tend à exercer la plus forte emprise possible sur ses fidèles, et est donc plus à même de les pousser à se sacrifier.
Deuxièmement, un système totalitaire tend à contrôler le plus possible l'information dans sa sphère d'influence. Il lui est donc d'autant plus facile, dans un premier temps de donner ou inventer des raisons de se sacrifier, dans un deuxième temps de répercuter, et au besoin de manipuler voire inventer de toutes pièces, l'information sur les martyrs.
Troisièmement, un système totalitaire tend à utiliser énormément et exacerbe les sentiments de ses fidèles en sa faveur et contre ses opposants. Le martyre des uns ou des autres, parce qu'il suppose un renoncement à la vie, à ce à quoi la plupart des gens tiennent plus que tout, est un excellent moyen d'exacerber un sentiment.
Dans l'autre sens, quand on a convaincu des gens de mourir pour une cause, il est d'autant plus difficile d'accepter une contestation de cette cause. On sera donc d'autant plus porté, dans la mesure où ce n'était pas déjà fait, à se donner les moyens d'empêcher cette contestation. Il y a rétroaction, qui peut contribuer à l'emballement du processus.

On explique que les mots "totalitaire" puis "totalitarisme" ont d'abord été italiens ("totalitario", "totalitarismo"), pour qualifier l'Italie fasciste dans les années 1920.

Le sens du mot s'est quelque peu brouillé ensuite, avec notamment une étude d'Hannah Arendt, Les origines du totalitarisme, très solidement documentée, brillamment écrite, au succès immense. Elle tendait à présenter le totalitarisme comme quelque chose d'absolument nouveau, limité au nazisme et au stalinisme, excluant donc même l'Italie fasciste qui avait initié le terme.

Voir sur ce même blog l'article sur 1984 d'Orwell, qui reprend cette même vision apocalyptique.

Arendt a par la suite relativisé ce point de vue, en admettant des aspects totalitaires par exemple dans la Terreur de Robespierre.

De même qu'on parle de plus en plus de « dérive sectaire » plutôt que de « secte », trop sommaire, on peut parler de « dérive totalitaire », surtout quand c'est un régime a priori et en principe démocratique qui y succombe (cas justement de la Terreur).

Hannah Arendt a étroitement lié le concept d'idéologie à celui de totalitarisme. Une idéologie est pour elle un système définitif, « omni-explicatif », d'interprétation du monde, capable d'intégrer logiquement n'importe quel fait nouveau. Bref, infalsifiable (nous aurons justement à citer longuement Karl Popper).

Concernant le nazisme, Mein Kampf (voir sur ce blog) s'ouvre par une vibrante dédicace aux morts nazis du putsch raté de 1924. Mais il y a bien d'autre cas détaillés (Albert-Leo Schlageter, Horst Wessel, accessoirement le Maréchal Friedrich Paulus à Stalingrad, s'il s'était conformé à l'attente de son Führer).

Un détour par les kamikazes japonais et leurs précurseurs, le caractère totalitaire du régime impérialiste.

Concernant le stalinisme, voir un exemple flagrant de manipulation dans la page  Kirov Il est question aussi du cuirassé Potemkine, de Pavlik Morozov, de Guy Môquet, de Salvador Allende (j'ose) etc.

Un détour (non obligatoire s'il rebute un éditeur...) par le passé, Socrate et Platon :  ICI 

Autre détour qui peut être optionnel par le passé passablement totalitaire du Christianisme (par exemple, Croisade anti-albigeoise, la façon dont elle a été encouragée par des martyrs, y compris les inquisiteurs massacrés et aussitôt béatifiés d'Avignonet, prélude à la campagne contre Montségur) et la fameuse sentence qu'aurait prononcée le représentant personnel du Pape à Béziers en 1209 (et son rapport au même Pape : "La vengeance de Dieu a fait merveille").

A présent, concernant le totalitarisme qui nous menace, une définition d'un ses principaux théoricien, Seyyed Qutb :

La révolution totale contre la souveraineté des créatures humaines dans toutes ses formes et en toute institution, la rébellion totale en tout lieu de notre terre, la chasse aux usurpateurs qui dirigent les hommes par des lois venues d'eux-mêmes, cela signifie la destruction du royaume de l'homme au profit du royaume de Dieu sur la terre…

Qui deviendra aussi un martyr :

Seyyed Qutb est pendu sur ordre de Nasser en août 1966. Il devient le second martyr de l'épopée islamiste. Les textes relatant son procès et sa fin – exemplaire, dit-on, de courage et de sérénité – voyagent jusqu'en Iran où un certain Khomeiny dirige la section persane des Frères Musulmans. Les écrits de Qutb, comme ceux d'Hassan al-Banna, sont commentés avec ardeur et vénération. L'Égypte avait d'abord fourni un cadre, un terrain de réflexion et d'action à l'islamisme naissant...

Sur le caractère totalitaire de la révolution islamique en Iran, et sa façon diabolique de se susciter des martyrs, on lira aussi sur ce blog les Mémoires de l'ex-Impératrice Farah Pahlavi. Et bien sûr ce programme de Ruollah Khomeiny :

La guerre sainte signifie la conquête des territoires non musulmans. Il se peut qu'elle soit déclarée après la formation d'un gouvernement islamique digne de ce nom, sous la direction de l'Imam ou sur son ordre. Il sera alors du devoir de tout homme majeur et valide de se porter volontaire dans cette guerre de conquête dont le but final est de faire régner la loi coranique d'un bout à l'autre de la Terre.

S'agissant de la Palestine, principal terrain actuel du Djihad (en tout cas le plus médiatisé sur la durée), on objectera peut-être que c'est une question de justice, de légitime défense, etc. Peut-être, mais ce n'est pas ce que dit par exemple le programme du Hamas. Quoi qu'il en soit, voici comment on pousse les petits Palestiniens vers le martyre, un cas d'école si je puis dire :

Nahoul, une abeille géante : Mes amis, Al-Aqsa vous attend. Mes chéris, Al-Aqsa est très triste. Mes amis, Al-Aqsa est prisonnière et assiégée par les assassins d´enfants. Nous devons nous soulever pour nous venger des Juifs criminels, des occupants sionistes. Nous devons libérer Al-Aqsa. Savez-vous comment la libérer et obtenir la clé, [pour la libérer] comme elle le fut par Saladin ?
Saraa, l´animatrice : Comment, Nahoul ?
Nahoul : Comment ? En faisant des prières le matin, et par le sang, le sacrifice et la douleur, par le martyre et avec de la patience. C´est cela, la clé. Je suis si triste, Saraa.
(émission TV pour enfants palestinienne, traduction MEMRI, Middle East Media Research Institute).



25/10/2018
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