La politique du chimpanzé (Frans De Waal)
L'auteur a lancé le terme "anthropodéni" ("anthropodenial" in English) pour qualifier l'excès inverse de l'anthropocentrisme, refuser d'employer les mêmes termes pour les animaux que pour les hommes quand rien ne justifie le distinguo. Et donc il appelle un chat un chat et une politique une politique. Quatrième de couverture :
Prises de pouvoir, luttes d'influence, bluff, intimidation, opportunisme, manipulations, règlements de comptes... il n'est rien, ou presque, de ce qui se trame dans les antichambres du pouvoir qu'on ne puisse trouver en germe dans la vie sociale d'une colonie de grands singes. Bref, les racines de la politique sont peut-être plus ancienne que l'humanité.
Telle est la révélation majeure de ce classique de l'éthologie, qui résulte de plusieurs années de patientes observations effectuées par Frans De Waal et son équipe au zoo d'Arnheim, aux Pays-Bas, où vivent en semi-liberté des chimpanzés.
Il y a une préface de Desmond Morris, avec un résumé des épisodes précédents, si je puis dire :
Il y a encore peu d'années de cela les grands singes anthropoïdes comme les chimpanzés, les orangs-outans, et surtout les gorilles, étaient considérés comme des monstres assoiffés de sang, tout juste bons à être abattus par les plus intrépides des chasseurs blancs. Ce fut la phase King Kong. (...) Du jour au lendemain ils se muèrent de monstres en clowns destinés à nous faire rire. Ce fut la phase "tea-party" des chimpanzés dans les zoos et les cirques. Puis les scientifiques commencèrent à étudier ces singuliers animaux, s'en occupant généralement "en famille", et les traitant à peu près comme des enfants. Ce fut la phase du singe-à-la-maison, qui suscita d'importantes études sur l'intelligence individuelle (...). Vinrent ensuite les grandes études sur le terrain, d'abord par Jane Goodall (...). Ce fut la phase du singe-dans-la-nature (...). Les choses en restèrent là, jusqu'à ce que les frères Anton et Jan van Hooff décident, sur un coup d'audace, d'installer une importante colonie de reproduction de chimpanzés au zoo d'Arnhem... (p17)
On se bornera ici à quelques épisodes de lutte pour le pouvoir.
Yeroen aussi "saluait" Luit mais pas de manière aussi exagérée, cela aurait été indigne de lui et ça n'était pas de son âge. Je n'ai jamais vu Yeroen témoigner d'une soumission excessive : il "saluait" légèrement, pouvait aller jusqu'à pencher la tête si nécessaire, mais sans aller plus loin. De son côté, Luit interdisait avec beaucoup d'assurance tout contact entre Yeroen et Nikkie... (p137)
Explications : Yeroen, longtemps mâle alpha (dominant) a été détrôné par une coalition comportant entre autres Nikkie, et remplacé par Luit. Ce dernier a bien compris qu'il fallait empêcher toute velléité de nouvelle coalition. Yeroen finit par se faire une raison et s'adapter car :
Yeroen paraissait avoir finalement décidé de soutenir Luit. On pouvait souvent le voir assis près de Luit et, même, il paradait parfois avec lui contre Nikkie. Qui plus est, la collaboration entre les deux ainés pouvait s'expliquer aisément : ils se connaissaient bien avant l'établissement de la colonie et il était donc vraisemblable que leurs liens passés avaient abouti à cette alliance. (p138)
Donc aussi un retournement d'alliance... mais ce n'était pas fini. Nikkie et Yeroen devaient encore s'associer après avoir bien endormi la méfiance de Luit (et des observateurs humains qui pensaient les choses fixées une bonne fois), et après un sérieux conflit ponctué de bluff et de fausses soumissions :
La paix est revenue, mais le statut de leader de Luit touche décidément à sa fin. Les deux autres mâles lui ont fait comprendre que leur coalition est à prendre au sérieux, et que les femelles ne peuvent rien y changer [Luit s'appuyait aussi sur elles]. A compter de ce jour, la situation de Luit se dégrade progressivement jusqu'à ce que, sept semaines plus tard, il accepte Nikkie comme supérieur. (p145)
Nikkie sera lui aussi chahuté quelques mois plus tard :
Finalement Nikkie, si impressionnant d'habitude, se retrouva perché tout en haut d'un arbre, isolé et criant, pris de panique. Toute retraite lui était coupée ; dès qu'il faisait mine de descendre, les autres le forçaient à remonter. Au bout d'un quart d'heure environ, la situation évolua. Mama [la doyenne, qui s'était aussi tournée contre Nikkie au départ] grimpa posément dans l'arbre, toucha Nikkie et l'embrassa. Elle redescendit ensuite, Nikkie marchant sur ses talons. Maintenant que Mama le ramenait avec elle, aucune opposition ne se manifestait plus. Nikkie, à l'évidence encore nerveux, alla se raccommoder avec ses adversaires. (P58)
Pas facile, de rester mâle alpha. Et c'est au moins aussi complexe entre "inférieurs" et entre femelles...
Odile Jacob, 1995
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