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L'animal est-il une personne ? (Yves Christen)

L'auteur se réfère essentiellement aux travaux d'autrui (dûment référencés), même si lui-même a étudié des panthères dans la nature.

Le titre du livre est une question. Nombre de titres de chapitres sont des questions :

Sans raison ?
Sans vie sociale ?
Sans émotion ?
Sans langage ?
Sans théorie de l'esprit ?
Incapable d'imiter ?
Sans conscience ?
Incapable de nous comprendre ?
Sans culture ?
Sans morale ?
Pauvres en monde ?
Sans histoire ?
Sans droit ?
Y a-t-il vraiment un propre de l'Homme ?

C'est bien sûr rhétorique et non incertitude, réponses essentiellement négatives (ils ne sont pas sans raisons, etc.), argumentées, partout. Il y a aussi des affirmations y compris dans le titre explicite de la deuxième partie, la plus longue :

Le vrai savoir des animaux ou le mythe de l'animalité comme absence.

Autre série de questions, dans le texte, pour constater que les aptitudes cognitives et autres ne sont pas forcément corrélées au degré de parenté avec Homo sapiens :

Mais pourquoi les animaux les plus capables de nous parler sont-ils des dauphins et, pis encore, des oiseaux ? N'est-il pas étrange que les chiens domestiques nous comprennent mieux que les grands singes ? Pourquoi les données les plus claires en faveur d'une aptitude animale, voyager mentalement dans le temps, proviennent-elles du geai à gorge blanche et non d'un mammifère ? L'existence de phénomènes culturels en dehors du monde des primates est-elle compréhensible ? Comment expliquer que les otaries maîtrisent les règles de la logique ? Ou encore que de simples salamandres puissent compter jusqu'à trois ? (p177)

Ce qui renvoie à chaque fois à des travaux cités par ailleurs.

Sur les innovations "culturelles" qui se transmettent, on nous détaille le cas classique de ces macaques japonais qui ont appris de proche en proche à laver leur nourriture dans de l'eau douce, puis, le goût étant meilleur, dans l'eau de mer, à la suite de l'innovation d'une seule femelle. Et aussi ce cas :

Dans cette expérience [du chercheur Eberhardt Curzio], les chercheurs ont trompé un merle en lui faisant croire qu'un congénère réagissait à un prédateur en remuant la queue à la vue d'un oiseau, certes bruyant, mais non tueur de merles et inconnu d'eux car vivant en Australie : le philémon. C'est en tout cas ce mangeur de miel que voyait l'oiseau testé, lequel ignorait que son partenaire avait en réalité l'oeil sur un petit hibou. Ultérieurement, le merle trompé a transmis le message erroné "les philémons sont des prédateurs". (p143)

Comme Frans De Waal (voir par ailleurs dans cette rubrique), l'auteur décrit une "politique du chimpanzé", en s'appuyant principalement sur Jane Goodall, et donc sur le chimpanzé dans la nature, pas dans le cadre sécurisé d'un zoo. La politique peut alors déboucher sur de tout autres horreurs.

Il y eut aussi des cas d'infanticide. La xénophobie [entre groupes occupant à l'origine des territoires contigus et qui s'étaient trouvés mélangés] fut si terrible que même des femelles en furent victimes. L'une d'entre elles donna tous les signes de la soumission, elle tendit la main pour effleurer l'un des mâles. Il s'écarta aussitôt, prit une poignée de feuilles pour se laver la fourrure là où il l'estimait souillée par la main étrangère. La femelle fut attaquée et son enfant tué. Quand ils furent commentés de par le monde, ces horribles incidents eurent partout pour effet de rendre les chimpanzés plus proches de nous : eux aussi avaient ces moeurs terribles que nous pensions exclusivement humaines. (p264)

Mais les animaux sont aussi capables de compassion et d'entraide, les exemples sont innombrables :

Hal Markowitz, un chercheur de San Francisco, a fait état d'observations sur des cercopithèques diane obligés d'insérer un jeton pour obtenir de la nourriture. Par trois fois, il a vu un mâle aider une vieille femelle à accomplir cette tâche. Il a récupéré le jeton qu'elle avait laissé tomber pour le mettre lui-même dans la machine afin qu'elle obtienne sa nourriture. (p221)

S'agissant de l'art :

Ce chercheur [Shigeru Watanabe] a entraîné des pigeons à reconnaître des peintures de Monet et de Picasso selon un principe bien connu : celui de la récompense pour une bonne réponse (...). Les volatiles formés à l'école du maître impressionniste se sont révélés capables de généraliser, désignant de façon correcte les autres tableaux de ce peintre. Ceux dressés à reconnaître du Picasso réussirent également bien. (p253)

Il y a aussi des animaux artistes (l'auteur ne s'étend guère). S'agissant de la morale :

Tricher ? Les animaux en seraient-ils capables ? Pour le savoir, les psychologues n'ont pas hésité à placer des primates dans des situations favorisant l'expression de leur capacité à mentir. (...) Une expérience classique consiste à faire interagir des singes avec un humain situé dans un autre local, derrière une vitre ; ils peuvent lui signaler le lieu où se trouve une friandise convoitée et espérer la recevoir en échange. Si l'homme leur donne le présent une fois qu'il l'a découvert, ils lui diront systématiquement la vérité. S'il prend le bonbon et le garde, ils lui indiqueront la prochaine fois une fausse cachette. Où l'on voit que ces primates ont des prédispositions au machiavélisme - mais que dire de celui des expérimentateurs ! - témoignant fortement de la présence chez eux d'une théorie de l'esprit. (p132)

Une pie taquine :

Elle savait, raconte Mme Rothschild [entomologiste], imiter d'autres oiseaux, et il me semblait qu'elle prenait un plaisir énorme à taquiner mes chiens de diverses façons. Par exemple, elle imitait la femme de ménage qui arrivait en disant "Bonjour !". Les chiens se levaient aussitôt, arrivaient - et il n'y avait personne. Cette pie s'était aussi rendu compte qu'en imitant les canards les chiens se rueraient dans le jardin, et je l'ai vue plus d'une fois leur jouer ce tour. Jamais, jamais je n'ai pu m'ôter de la tête que c'était pour elle une façon de s'amuser, et que d'une certaine façon elle devait anticiper. Il était presque impossible de ne pas penser qu'elle en tirait une certaine satisfaction. (p144)

Comme Roger Fouts (voir par ailleurs dans cette rubrique), Christen s'en prend à Noam Chomsky :

Les disciples de Chomsky feraient bien de se préparer à une révision qui ne devrait, du reste, rien avoir de très déchirant : étendre l'art combinatoire et récursif à des représentants du monde animal ne ferait qu'en accroître l'importance ! Animaliser Chomsky - ou le déshumaniser - constitue, à mes yeux, la meilleure façon de lui rendre hommage. (p116)

Enfin, il n'y a pas que ces aspects plus ou moins anecdotiques, il y a des considérations plus profondes, que mes connaissances ne me permettent pas de traiter, touchant à la physiologie et au fonctionnement du cerveau, etc.

Flammarion, 2009



14/11/2011
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