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Waterloo les mensonges (Bernard Coppens)

La bataille de Waterloo doit être la plus commentée donc la plus connue de l'histoire de France. Sous-titre sur la couverture : Les manipulations de l'histoire enfin révélées. Un peu trop "vendeur" quand même, et l'intérieur est aussi parfois excessif. Il est par ailleurs classique de tirer la couverture à soi pour un général vainqueur ou vaincu. Après tout, le lendemain de cette bataille, pendant que Blücher se lançait à la poursuite de Grouchy, Wellington faisait déjà tout pour s'attribuer le mérite à lui seul. L'auteur présente Henry Houssaye, l'historien de référence sur le sujet, comme un napoléonolâtre invétéré. Mais Houssaye porte, entre autres, un jugement pondéré sur Grouchy et admet que Napoléon a eu grand tort de ne pas mieux écouter Soult au matin de la bataille.

Néanmoins l'enquête de Coppens, menée dans les témoignages et sur le terrain, est très fouillée, et la conclusion globale instructive. On, et d'abord Napoléon depuis Sainte-Hélène (une fois qu'il a eu en mains les récits anglais de la bataille et compris ses erreurs), a imposé l'idée d'un surhomme infaillible et potentiellement invincible, seulement trahi par l'incompétence voire le mauvais vouloir de ses subordonnés. A-t-il été lui-même aussi présent qu'il aurait fallu ?

Commentaire d'un officier :

En 1809, l'Empereur se fût levé plus matin, et eût étudié son terrain de visu, au lieu de demeurer sur le tertre de Rossomme, où il se faisait tracer sur une carte, par le général Haxo, les positions de l'armée anglaise. [p149]

Opinion plus globale du maréchal Marmont (absent à Waterloo puisqu'il avait suivi Louis XVIII mais qui a pu interroger ses camarades) :

La perte de la bataille de Waterloo a été causée par la direction incertaine, le décousu des attaques et l'éloignement du champ de bataille de Napoléon. [p149]

Un résumé classique même succinct de la bataille vous dira que l'aile gauche française (deuxième corps de Reille) s'est cassé les dents pendant des heures sur le château de Hougoumont. Il ne s'agissait pas d'un ouvrage militaire et quelques boulets auraient aisément réglé le problème, donc gâchis. Alors quoi ? En fait il était masqué par un bois, abattu depuis. Mais pas question d'avouer, même à Sainte-Hélène, que Napoléon n'avait pas sérieusement reconnu son champ de bataille (contrairement à Wellington). C'est pourquoi la version finale dit qu'il n'y aurait dû avoir là qu'une diversion, mais que cela n'a pas été compris et que ce n'était certainement pas la faute de l'Empereur. 

Ce n'est qu'à Sainte-Hélène que Napoléon a appris qu'il y avait un château derrière le bois, et qu'il était défendu par les Guards [troupe d'élite anglaise]. [p177]

Après la gauche, la droite (sixième corps de Lobau). Autre dogme de la "vulgate", l'Empereur avait vu venir les Prussiens, il eut été indigne de lui de ne pas les voir. Il les avait repérés le matin quand ils traversaient le village de Saint-Lambert. Coppens assure que Saint-Lambert est tout simplement invisible depuis l'endroit où Napoléon se trouvait. Ce nonobstant, il avait prétendument pris des dispositions qui, si elles avaient été correctement exécutées, auraient réglé le problème. Il y a pourtant des témoignages de l'incrédulité impériale, dont celui d'un aide de camp :

Un peu plus tard, le comte de Lobau, commandant la droite à Waterloo, fit dire à l'empereur qu'il était attaqué par les Prussiens. Napoléon ne voulut d'abord admettre que la chose fût possible. Lobau dit à M. de Canonne, un de ses officiers : "Faites un prisonnier et portez-le-lui, peut-être sera-t-il convaincu". [p381]

Cela disparaitra de l'histoire. Coppens cite aussi une lettre du colonel Marbot, supposé attendre Grouchy, lettre écrite une semaine après la bataille donc à chaud :

Je ne reviens pas de cette défaite !... On nous a fait manoeuvrer comme des citrouilles. J'ai été, avec mon régiment, flanqueur de droite de l'armée pendant presque toute la bataille. On m'avait assuré que le maréchal Grouchy allait arriver sur ce point, qui n'était gardé que par mon régiment, trois pièces de canon et un bataillon d'infanterie légère, ce qui était trop faible. Au lieu du maréchal Grouchy, c'est le corps de Blücher qui a débouché !... Jugez de la manière dont nous avons été arrangés !... Nous avons été enfoncés, et l'ennemi a été sur-le-champ sur nos derrières... [p375]

Bien sûr, Marbot préfère incriminer un vague "on". Cela est corroboré par d'autres témoignages d'officiers français, et aussi prussiens. La surprise a été totale. On a contenu difficilement, dans l'improvisation, le premier corps prussien (Bülow) mais le second (Zieten), tout aussi inattendu, a causé directement la débâcle finale. Pourtant, par la suite, Marbot alignera ses souvenirs sur la version officielle diffusée depuis Sainte-Hélène.

Mais puisque désinformation il y a, que cherchait-on à escamoter ? D'abord, on ne l'a pas totalement escamoté. Coppens cite un article de 1829 dans une "Revue française" :

Il ne suffisait pas à Napoléon d'être un grand homme, il voulait encore être infaillible ; ses partisans pensent de lui comme lui, et il n'y aurait pas sûreté à relever une seule faute dans sa conduite d'empereur ou de général. Il est vrai qu'il a perdu la bataille de Waterloo, mais on a eu soin d'établir qu'en ce qui le concerne il l'avait gagnée, prétention singulière qu'il a le premier mise en avant, et que, par une illusion trop patriotique pour être attaquable, la France se plaît à partager. [p359]

Personne ne nie que les adjoints immédiats de l'Empereur n'ont pas toujours été à la hauteur. Ils n'ont pas non plus été nuls. L'auteur soutient que la charge de toute la cavalerie, qui s'est à un moment tellement bien entassée entre les carrés anglais qu'elle ne pouvait plus charger efficacement et se faisait mitrailler en pure perte, autre gâchis, n'est pas due à une initiative malencontreuse de Ney (comme le veut la "vulgate"). Ney avait beau se montrer ostensiblement suicidaire, il connaissait encore son métier. Coppens l'attribue à un manque de précision du commandement central.

De la même façon, le dispositif beaucoup trop compact, aberrant, de l'attaque du premier corps (d'Erlon), au centre, encore un gâchis considéré comme une cause majeure du désastre et imputé classiquement à d'Erlon ou Ney, semble avoir été ordonnée de plus haut d'après les témoignages (car des officiers ont émis des objections et se sont vu à leur tour objecter que...). Ainsi le général Durutte (un des adjoints immédiats de d'Erlon, commandant une division) :

On lui (Durutte) annonça qu'il fallait que toutes les divisions se formassent en colonnes par bataillon, et qu'on devait attaquer de vive force l'ennemi dans cet ordre en échelon, en commençant par la gauche.
Le général Durutte s'apercevant que sa droite était débordée, et qu'un village, qui était à l'extrémité de notre ligne, était occupé par des troupes ennemies, observa qu'il convenait qu'il fît face à ces troupes, et qu'il devait par conséquent se former en potence sur notre ligne. Mais on lui répondit qu'on ne pouvait rien changer aux dispositions de l'Empereur, et il exécuta l'ordre reçu dès qu'il vit les divisions de la gauche en mouvement. [p210]

Mais alors, si c'est l'Empereur lui-même qui a été déficient, pas assez actif et mal inspiré, ce que donc on aurait largement réussi à cacher, pourquoi l'a-t-il été ? Personne ne nie qu'il avait montré par le passé une tout autre efficacité. Une explication tristement banale est fournie, sur la base de plusieurs témoignages : outre qu'il ne s'est jamais complètement remis du froid russe, il souffrait ce jour-là d'une sérieuse crise d'hémorroïdes. C'est ce qui l'a empêché de se rendre en personne sur les points importants, d'étudier son champ de bataille, etc. A quoi tient l'histoire... mais pas question de l'avouer.

Jourdan éditeur, 2009



10/09/2014
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