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Protocoles des Sages de Sion

Il paraît que l'auteur ou l'organisateur était un nommé Matveï Golovinsky, établi en France, membre de la police politique du Tsar, l'Okhrana, autour de 1900, le but étant expressément d'exacerber la haine contre les Juifs. Le Tsar lui-même, férocement antisémite, a néanmoins jugé le procédé trop ignoble. Mais l'ouvrage a été diffusé par un moine fanatique, Sergueï Nilus.

 

On sait très bien de quels livres se sont très largement inspirés les "Protocoles". En 1864, un avocat français, Maurice Joly, publiait en Belgique un curieux essai intitulé Dialogues aux enfers entre Montesquieu et Machiavel. L'ensemble se présentait comme une apologie cynique de la dictature et de la manipulation comme moyens de contrôler le monde entier. La naïveté des moyens proposés avait de quoi faire retourner dans sa tombe le vrai Machiavel, mais c'est une autre question. C'était donc, en fait, une attaque "au deuxième degré" contre le régime de Napoléon III, espérant tromper la censure (espoir déçu, l'ouvrage a été interdit en France et son auteur emprisonné). Nulle part dans ces Dialogues il n'était question de Juifs.

 

Les Protocoles des sages de Sion en parlent, eux. Ils sont pourtant, pour les deux tiers, recopiés souvent textuellement du livre de Joly. Simplement, la très inquiétante société secrète qui vise à s'emparer du pouvoir mondial devient l'émanation du Judaïsme. Et ce texte devait inspirer nombre de massacres de Juifs dans l'Empire Russe, puis être récupéré par le nazisme, puis par certains régimes arabes jusqu'à nos jours.

 

L'idée d'un complot des Juifs, supposés solidaires contre le reste du monde, leur prête des qualités et des vertus qu'ils n'ont pas plus que les autres. Ils sont, l'Histoire le prouve, ni moins ni plus enclins que les autres peuples à se gruger et à se tuer entre eux. Aussi, ni les Juifs, ni les non-Juifs sensés, n'ont véritablement vu venir le danger, croyant avoir affaire aux derniers soubresauts de l'ancienne hostilité religieuse. Sinon, comment aurait-il fallu réagir ? Pas simple. Quand l'idée virale d'un complot est bien ancrée, celui qui le nie ne peut être qu'un comploteur ou une dupe des comploteurs.

 

Le résultat, on le connaît. Six millions de morts. Et les Protocoles circulent toujours, en particulier dans les pays arabes. Une affaire plus récente, et également récurrente, montre que le terrain reste fertile (voir Rumeur d’Orléans).

 

Certains "projets" des Protocoles des sages de Sion reflètent leur époque d'une manière inattendue, comme le projet de faire creuser des métros pour miner les grandes ville, ou bien celui de faire répandre le sport de masse pour abrutir, précisément, les masses : on était au début du métro comme du sport de masse...

 

Dans son essai Six promenades dans les bois du roman et d'ailleurs (Grasset, 1993), Umberto Eco affirme avoir retrouvé la source d'inspiration principale de Joly : il s'agit d'un roman d'Eugène Sue publié quelques années auparavant, où le plan diabolique de domination provient... des Jésuites. Sue lui-même semble s'être inspiré d'oeuvres antérieures visant tantôt les Francs-Maçons (le Cagliostro d'Alexandre Dumas), tantôt les Rosicruciens, tantôt les Templiers.
 

Les réflexions ci-dessus sur l'antisémitisme sont développées, entre autres, par Alain Finkielkraut dans Le Juif imaginaire, Seuil, 1980.



07/08/2025
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