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La vouivre (Marcel Aymé)

Marcel Aymé (1902-1967) est mort d'un cancer. L'apprenant par une recherche basique, je me suis demandé si, comme pour d'autres cités dans cette rubrique (Lovecraft, Desproges, Ginsberg, Malaparte, Fallaci...) son oeuvre ne montrait pas une façon décalée de traiter de la mort, donc peut-être un malaise par rapport au sens de la vie. Et elle n'y manque pas, et pas seulement dans le roman traité ici.

La Vouivre est une créature légendaire jurassienne, la femme aux serpents (ou la femme-serpent). Il semble qu'il se soit agi à l'origine de la même chose que la roussalka slave : une femme qui vit à part, près de l'eau ou dans l'eau, et qui attire les hommes pour leur bonheur ou, plus couramment, leur malheur.

La vouivre du roman est immortelle. Elle se rappelle avoir été violée par un guerrier teuton dans l’antiquité. Elle est terriblement attirante parce qu’elle porte un diadème avec un rubis magnifique. Accessoirement parce qu’on la voit souvent se baigner ou marcher toute nue, sans trop se cacher, et abandonnant alors sa pierre avec sa robe. Mais des bataillons de vipères, à qui elle commande quand elle y pense, punissent toute tentative de vol. Elle tombe cependant amoureuse d’Arsène, un jeune paysan, qui reste sur ses gardes.

C’est d’abord un autre homme, Beuillot, qui tente sa chance, et perd la vie. Le curé du village décide une procession pour exorciser cette vouivre. Lors des préparatifs :

L’église de Vaux-le-Dévers possédait une relique de saint. C’était un fragment de mâchoire et sans doute n’avait-il jamais joui d’un très grand crédit dans la région ou bien sa vertu avait-elle subi une éclipse, car le nom du saint auquel elle appartenait s’était effacé de la mémoire des fidèles. En l’espèce, on ne savait proprement à quel saint se vouer.

Arsène n’y participe pas, bien placé qu’il est pour savoir que la Vouivre n’est pas seulement démoniaque. Seulement, pour son malheur, il a aussi eu une liaison avec Belette, une jeune servante de sa famille, et il l’a rejetée, et toute la famille a rejeté Belette. Et Belette, au désespoir, commet l’imprudence fatale de saisir la pierre alors que la Vouivre s’est une fois de plus dénudée. Attaquée aussitôt par les vipères elle appelle Arsène à son secours, et Arsène arrive et lui aussi succombe.

Le sang, qui avait taché sa chemise et ses habits, coulait sur ses mains couvertes de morsures. Son cou déchiré en était inondé, mais son visage était à peine déformé par une boursouflure où les marques des crocs ressemblaient à des piqûres d’épingles. Un reste de vie brillait dans le regard des petits yeux gris dont la douceur étonna la vouivre. Les lèvres bleuies remuèrent pour épeler dans un dernier souffle des paroles qu’elle n’entendit pas. Huit fois sept ? demanda Arsène. Mais Belette avait déjà oublié sa table de multiplication.



31/12/2011
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