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Savonarole (Ivan Cloulas)

Jérôme Savonarole (Girolamo Savonarola) passe d'abord non sans raisons pour intransigeant et fanatique, on a tendance à en faire un précurseur des catholiques "intégristes". L'ouvrage remet les choses en place : ce sont au contraire les "progressistes" qui se réclament de lui et militent pour sa canonisation. Ivan Cloulas ne cache pas une certaine admiration pour son personnage, sans tomber dans l'hagiographie.

Né à Ferrare en 1452, Savonarole s'enfuit de chez ses parents pour se faire dominicain. Ses maitres ne manquent pas de flair puisque malgré une certaine timidité, un physique et une voix peu engageants, ils détectent en lui un prédicateur né. Il le devient. Après divers postes il est nommé en 1491 prieur du prestigieux couvent de Saint-Marc, à Florence, donc déjà un des principaux personnages de la ville.

Sa technique oratoire est simple, mais efficace. Il parle au nom d'un "frère" fictif qui soulève des objections, l'appelle à la prudence, et puis il balaye l'argument :

"Attention, frère, tu te mêles de politique ! - Mais non, je ne me mêle que du salut des âmes !"

Il lui arrive aussi de s'assimiler au prophètes bibliques, de préférence les plus virulents, Ezéchiel en particulier.

Son prestige s'accroit quand Florence s'allie avec le roi de France Charles VIII, qui mène campagne à travers l'Italie. On y voit la réalisation d'une prophétie de Savonarole... mais il ne prétend pas faire de politique.

Le salut des âmes passe par des pressions sévères. On sait qu'il organise des "bûchers des vanités", où les gens viennent déposer tous leurs objets de luxe, les femmes leurs parures, des peintres (y compris parait-il un certain Sandro Botticelli...) leurs tableaux de nus. Et à partir de 1494, un passage de l'armée française provoquant la chute des Médicis, une république est proclamée à Florence.

C'est donc seulement pour le salut des âmes qu'il lance dans un sermon :

"Viens ici, mon peuple. N'es-tu pas le maitre maintenant ? - Oui - Eh bien ! prends garde qu'on ne réunisse un parlement, si tu ne veux pas perdre ton gouvernement. Sache que les parlements ne sont autre chose qu'un moyen d'enlever au peuple la direction des affaires. Retiens cette vérité et enseigne-la à tes enfants. Peuple, si tu entends la cloche convoquer le parlement, lève-toi, tire l'épée et dis : "Que veux-tu faire ? Ce Conseil ne peut-il l'établir lui-même ?" (p218)

Des inquisiteurs font la chasse aux joueurs, leur prennent cartes et dés et leur arrachent l'argent gagné, qui sera distribué aux pauvres. Enfin des patrouilleurs vont inspecter les petits oratoire et les statues de saints qu'ils déménagent si elles se trouvent à proximité de lieux de vice. Ils repeignent en blanc les murs salis de graffiti et de dessins obscènes. (p239)

Toujours pour le salut des âmes, en mars 1498, il fait appel à l'Empereur, ainsi qu'aux rois de France, d'Espagne, d'Angleterre et de Hongrie, contre le Pape Alexandre VI (Rodrigo Borgia, encore une réputation bien accrochée). Il est vrai que ce dernier s'est déclaré contre lui, l'a excommunié, après avoir tenté de le raisonner. Extraits de cette lettre :

"Le moment de la vengeance est arrivé, écrit-il. Le Seigneur veut que je révèle de nouveaux secrets et que le monde connaisse le péril où se trouve la barque de Pierre à cause votre longue négligence. (...)

"Voilà pourquoi le Seigneur s'est grandement irrité ; voilà pourquoi il a, pendant quelque temps, laissé l'Eglise sans pasteur. Je vous certifie, in verbo Domini, que cet Alexandre n'est pas pape et ne peut être tenu pour tel. Car sans parler de l'épouvantable péché de simonie au moyen duquel il a acheté le Saint-Siège et vendu au plus offrant les bénéfices ecclésiastiques, sans parler de ses autres vices manifestes, j'affirme qu'il n'est pas chrétien, qu'il ne croit pas en Dieu... (p383)

Au conflit avec le Pape s'ajoute la vieille rivalité entre dominicains et franciscains. Et donc ces derniers l'attaquent. L'un d'entre eux lui lance un défi singulier. Tous deux devront entrer dans un brasier, et celui qui en sortira vivant, s'il y en a un, sera considéré comme justifié par Dieu. Savonarole refuse, partant du principe qu'on ne doit pas tenter Dieu. Mais un de ses lieutenants les plus exaltés, Dominique de Pescia, lui lance le pavé de l'ours en acceptant pour son compte. Et le prieur finit par accepter, se justifiant laborieusement de ne pas participer en personne :

"Si nos adversaires, s'écrie-t-il, veulent s'engager publiquement à faire dépendre de l'épreuve du feu le jugement de notre cause et la réforme de l'Eglise, je n'hésiterai point à entrer dans le feu, parce que je suis certain d'en sortir sain et sauf. S'ils veulent seulement prouver par le feu la validité de l'excommunication, que ne la prouvent-ils pas plutôt en opposant des arguments à nos arguments..." (p390)

Après beaucoup de tergiversations et de négociations, l'ordalie, pratiquement un duel à mort, est programmée pour le 7 avril 1498. Il est convenu que si les deux champions succombent Savonarole aura perdu. Et puis... figurez-vous qu'au moment fatidique une pluie diluvienne empêche l'épreuve !

Quand on se prétend prophète, on doit être capable de prévoir une averse. Savonarole a beau tenter de la présenter comme un signe de la miséricorde divine, il a perdu. Il aurait peut-être bien gagné s'il avait tenté en personne l'épreuve. Mais presque tous l'abandonnent, le couvent Saint-Marc est pris d'assaut. Pour le convaincre de se livrer alors qu'il est tenté de se sauver, que ses derniers fidèles l'en pressent, un de ses anciens amis (et même volontaire pour l'épreuve du feu), qui vient de retourner sa veste ou plutôt son froc, lui lance :

Le pasteur ne doit-il pas donner sa vie pour ses brebis ? (p402)

Il se rend, il se retrouve très vite sur le banc des accusés, avec Dominique de Pescia et un autre de ses lieutenants, Sylvestre, qui a tenté d'organiser une défense armée. Ils sont torturés. Savonarole craque, il reconnait avoir violé le secret de la confession pour illustrer un sermon, puis il se rétracte. Un prophète se doit de résister à la torture...

Ils sont condamnés à être pendus puis brulés. Dominique de Pescia, qui a de la suite dans les idées, voudrait demander à être brulé vif "afin de pouvoir, au nom du Christ, supporter un plus pénible martyre". Savonarole le lui interdit :

"Cela est insensé. Il ne vous est pas permis de choisir tel genre de mort de préférence à tel autre. Savons-nous donc avec quelle fermeté nous supporterons celui auquel nous sommes condamnés ? Notre constance ne dépend pas de nous mais de la grâce que le Seigneur voudra nous accorder". (p438)

Et donc ils sont exécutés. Quelques années plus tard, on verra dans une nouvelle incursion armée du Roi de France la réalisation d'une prophétie de Savonarole. Il a encore des partisans.

Fayard, 1994



22/12/2011
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