Panthéisme mode d'emploi, les autres ismes
Le panthéisme et les autres ismes
Ou le panthéisme par rapport à… la concurrence
Athéisme
On peut très bien vivre dans l’athéisme, de façon satisfaisante pour soi-même et pour autrui. Si tel est votre cas, ne vous gênez surtout pas pour moi.
Il y a longtemps, j’ai cru bon d’assister à une assemblée de l’Union des Athées. Le président, au cours de son discours d’introduction, a dit à un moment, sur un ton désabusé : « Vous savez, il n’y aura pas de miracle ». Il lui a fallu peut-être une seconde pour comprendre pourquoi cela faisait rire, et le reprendre comme une évidence. Dans la suite, François Cavanna, présent, a lancé dans une belle envolée : « S’il y a un Dieu et qu’il a laissé les choses arriver où elles en sont, qu’il se démerde ! » (De mémoire mais je garantis l’esprit). Cabu, présent aussi, a dessiné divers moments, avec son brio coutumier, dans le numéro suivant de Charlie Hebdo. Quelqu’un a lu une lettre ouverte au Pape commençant par : « Monsieur… ». Ce fut instructif et sympathique, mais j’ai compris que ce n’était pas pour moi quand un intervenant a martelé, sur un ton dogmatique, comme une certitude, qu’une plante ne peut rien ressentir. Qu’en savait-il ?
La doctrine athée la plus typique et conséquente est le matérialisme. En bref, tout n’est que matière (au sens large, incluant énergie, particules, champs, etc.). La vie n’est qu’un infime et accidentel sous-produit de la matière. L’esprit n’est qu’un infime et accidentel sous-produit de la vie. Il reste à expliquer comment ont pu s’insérer, là-dedans, des choses comme liberté, bien, mal, valeurs, et cetera. Y a-t-il eu une première jouissance, une première souffrance, un premier désir, une première peur, un premier choix conscient ? Peut-on mettre cela en évidence dans une éprouvette, un circuit intégré, ou quoi que ce soit de non vivant a priori ? D’aucuns s’accrochent à cette idée en invoquant les neurosciences. Si tel est votre cas, si vous en avez absolument besoin pour vous sentir bien dans ce monde inconfortable, le présent ouvrage ne devrait pas vous concerner (sauf bien sûr si vous ne supportez pas que d’autres pensent différemment et souhaitez leur apporter la contradiction).
Déterminisme
C’est la conséquence logique du matérialisme le plus conséquent. Je vous laisse vous documenter ailleurs sur le physicalisme et l’éliminativisme, conceptions récentes qui précisent encore les choses. Il n’y a que la matière régie strictement par les lois matérielles, et donc nos idées de liberté, bien, mal, valeur, et cetera, sont de pures illusions, elles-mêmes entièrement et définitivement déterminées. À quoi bon dès lors défendre cette idée ?
Frédéric II Hohenzollern a commenté méchamment ainsi un texte de D’Holbach qui soutenait cette thèse.
Après avoir épuisé toutes les preuves montrant que les hommes sont conduits dans toutes leurs actions par une nécessité fatale l’auteur devrait en tirer la conséquence que nous ne sommes qu’une sorte de machine : des marionnettes mues par l’action d’une force aveugle. Et pourtant il s’échauffe contre les prêtres, contre les gouvernements, contre tout notre système d’éducation : il croit donc que les hommes qui exercent ces activités sont libres puisqu’il leur démontre qu’ils sont esclaves ? Quelle folie et quelle absurdité ! Si tout est mû par des causes nécessaires, tous les conseils, les enseignements, les peines et les récompenses sont tout aussi superflus qu’inexplicables : on pourrait aussi bien prêcher un chêne et vouloir le persuader de se transformer en oranger[1].
Plus gentiment mais dans le même esprit et aussi ironiquement, Paul Watzlawick commente ainsi les idées non moins déterministes donc déterminées de Pierre-Simon de Laplace :
On ne trouvera pas trace dans les textes que Laplace ait fondé sa propre vie sur cette conception du monde pour aller jusqu’à sa conclusion logique : le fatalisme. Il fut en fait un savant et un philosophe très actif et très inventif, extrêmement intéressé au progrès social[2].
Il cite également un autre phare de la science, Max Planck, qui avait écrit :
Nous pouvons dire par conséquent : vue du dehors, la volonté est causalement déterminée. Vue du dedans, elle est libre. Ce qui résout la question du libre arbitre, question qui s’est seulement posée parce qu'on n’a pas assez pris soin de spécifier explicitement le point de vue de l'observation, ni de s’y maintenir avec conséquence. C’est un exemple typique de faux problème. Même si cette vérité est encore parfois discutée, il ne fait aucun doute à mes yeux que sa reconnaissance universelle n’est qu’une question de temps[3].
Vous trouvez, vous ? Commentaire de Watzlawick :
Trente ans ont passé depuis cet écrit, et il n’y a pourtant aucun signe qu’il ait été universellement reconnu comme résolvant le dilemme du libre arbitre. Si c’est un faux problème, Planck semble lui avoir apporté une fausse solution[4].
Plus récent, partant aussi d’un point de vue purement matérialiste, Dan Dennett[5] a soutenu l’inexistence de la conscience tout en reconnaissant une pertinence aux concepts qui en découlent, parce qu’ils ont malgré tout une valeur prédictive en attendant mieux.
L’ironie a cette fois été relevée, notamment, par son collègue John Searle :
Des différents livres qui sont discutés ici, le livre de Dennett (La conscience expliquée) est unique en ce qu’il ne fait aucune contribution au problème de la conscience mais nie plutôt l’existence d’un tel problème. Dennett, comme disait Kierkegaard dans un autre contexte, garde les formes, tout en leur ôtant le sens. Il garde le vocabulaire de la conscience tout en niant son existence[6].
Il est vrai que pour Searle, dans le même ouvrage :
Ce qu’il y a d’extraordinaire dans la conscience, c’est que, si on a l’illusion de posséder une conscience, on en possède effectivement une. Avec elle, il est impossible d’avoir, comme pour d’autres phénomènes, recours à la différence habituelle entre apparence et réalité.
Mais dix ans plus tard une conférence de ce même John Searle s’attirait le commentaire suivant :
On est tout de même en droit de s’interroger : le lecteur est-il concerné par ces quelques pages de réflexion qui ne débouchent sur rien, ou presque rien ; n’aurait-il pas préféré attendre que l’auteur vienne à bout de sa recherche et lui propose une thèse digne de ce nom, fût-elle sceptique ? Car, ce que le lecteur demande n’est pas nécessairement que la question de la liberté soit définitivement tranchée, mais au moins qu’il sache précisément pourquoi elle ne l’est pas... (…). La seconde faiblesse de l’argument déterministe est archi-classique (mais, semble-t-il, elle n’est venue à l’esprit de Searle qu’à l’occasion d’une question d’un auditeur, et cela de son propre aveu) : est-ce librement que nous pouvons soutenir l’hypothèse du déterminisme, ou bien sommes-nous déterminés à le faire, et cela n’aurait-il pas quelque conséquence sur la validité de cette même thèse ?[7]
Monisme et dualisme
Le monisme est une position philosophique qui « affirme l’unité indivisible de l’être » et « soutient l’unicité de la substance qui compose l’univers ». Il « interdit de dissocier les sciences de la nature et celles de l’esprit » (Wiki). Le mot lui-même a été lancé par Christian Wolff en 1734, mais ce qu’il désigne est facilement identifiable dans de nombreuses conceptions antérieures.
Selon le dualisme, on considère au contraire qu’il y a deux principes irréductibles l’un à l’autre. À l’origine (du terme, en 1697), c’étaient le bien et le mal, selon Pierre Bayle qui qualifiait ainsi la religion manichéenne. Et puis, aussi en 1734, le même Christian Wolff a repris le mot pour distinguer res extensa (la matière y compris les organismes vivants) et res cogitans (l’esprit).
Le monisme débouche classiquement soit sur un matérialisme extrême (l’esprit n’est qu’un infime et accidentel sous-produit de la matière…) soit son opposé absolu, l’idéalisme tout aussi extrême de George Berkeley : « Être, c’est percevoir ou être perçu ». La matière devient un sous-produit de l’esprit. C’est notamment la conception monothéiste d’un Dieu créateur.
Faut-il choisir entre les deux, monisme et dualisme ? Pourquoi donc ? Même dans les sciences exactes on peut être confronté à deux conceptions qui s’opposent frontalement mais peuvent toutes deux servir à quelque chose selon le problème à résoudre. Exemple classique, la nature à la fois ondulatoire et corpusculaire de la lumière, étendue ensuite à toute la matière. Les deux sont mutuellement incompatibles et les deux peuvent servir. Oui, je sais, je viens d’écarter une histoire de points de vue, supposée régler un aussi vieux problème, selon Max Planck.
Théisme
C’est le fait de croire en Dieu sans chercher plus loin. Quel sens cela a-t-il, de croire en Dieu, sans plus ? Quelle en est l’utilité pour nous, étant donné que nous n’avons pas à nous mettre à sa place (il l’interdit dans les religions dominantes) ?
Le théisme le plus typique suppose un Dieu créateur, qui a lancé une fois pour toutes sa création et depuis s’en désintéresse. Cela ne fait pas de mal, mais le bien, où est-il ? Qu’en retire-t-on ? En quoi cela peut-il infléchir nos comportements et nos choix ? Quelle différence entre croire à ce Dieu et ne croire à aucun dieu ? Il ne peut être que (il a été souvent) une étape vers autre chose, typiquement l’athéisme ou l’agnosticisme, ou alors un théisme vraiment conséquent.
Hénothéisme
Cette position consiste à affirmer : « Nous n’avons qu’un seul Dieu, mais d’autres peuvent avoir d’autres dieux aussi valables ».
Le Judaïsme semble être passé par un stade hénothéiste, si on en juge par certains passages bibliques (mal effacés ?).
Quand le Très-Haut donna un héritage aux nations, quand il sépara les enfants des hommes, il fixa les limites des peuples d’après le nombre des enfants d’Israël : Car la portion de l’Éternel, c’est son peuple, Jacob est la part de son héritage (Deutéronome 32 :8-9, trad. Segond).
C’est illogique si le Très-Haut (El ou Elyon dans le texte hébraïque) et l’Éternel (Yahvé dans le même) sont la même entité.
Dans le Psaume 82, Dieu se présente comme un parmi d’autres, mais mieux intentionné que ses pairs :
Dieu se tient dans l’assemblée de Dieu ; il juge au milieu des dieux. – jusques à quand jugerez-vous avec iniquité, et aurez-vous égard à la personne des méchants ? (Psaume 82 :1-2)
Monothéisme
Le monothéisme est ce qui domine le paysage religieux, au moins chez nous. À la base, il suppose, propose, impose quand il le peut, un Dieu personnel Créateur Tout-Puissant, Tout-Connaissant, et qui non seulement ne Se désintéresse pas de Sa Création mais a constamment toutes sortes de choses à réclamer ou interdire. Il y a déjà là un redoutable paradoxe.
La toute-puissance
Un moine médiéval à l’esprit aussi pertinent qu’impertinent (question de point de vue encore) posa un jour la question suivante : Dieu peut-Il, oui ou non, créer un rocher si énorme que Dieu Lui-même ne puisse le remuer ? Quelle que soit la réponse, elle implique une limite à la toute-puissance.
L’idée même de toute-puissance apparait paradoxale dès lors qu’on se demande si elle s’exerce aussi sur elle-même. Ne doit-on pas d’abord être maitre de soi-même ? Elle devient problématique quand sa promotion s’accompagne d’exigences toutes plus péremptoires et pathétiques les unes que les autres. Pour illustrer cela, on n’a qu’à ouvrir la Bible, ou plus encore le Coran, à peu près au hasard. C’est le noyau central du monothéisme.
Il n’en a pas l’exclusivité. Au moins dans le principe, cela se trouve dans des doctrines parfaitement athées. Arthur Koestler décrit dans son roman Le zéro et l’infini (titre d’origine Darkness at noon) la désillusion et la descente aux enfers (terrestres) d’un personnage qui serait inspiré de Nikolaï Ivanovitch Boukharine (compagnon de Lénine, rédacteur d’une constitution soviétique particulièrement permissive et maintenue quoique non respectée, et victime emblématique de Staline). À un moment, dans sa cellule avant exécution, il raisonne ainsi :
Le parti niait le libre-arbitre de l’individu – et en même temps exigeait de lui une abnégation volontaire. Il niait qu’il eût la possibilité de choisir entre deux solutions – et en même temps il exigeait qu’il choisît constamment la bonne. Il niait qu’il eût la faculté de distinguer entre le bien et le mal – et en même temps il parlait sur un ton pathétique de culpabilité et de traitrise. L’individu – rouage d’une horloge remontée pour l’éternité et que rien ne pouvait arrêter ou influencer – était placé sous le signe de la fatalité économique, et le parti exigeait que le rouage se révolte contre l’horloge et en change le mouvement. Il y avait quelque part une erreur de calcul[8]…
On est donc bien, comme avec la toute-puissance divine, devant le paradoxe redoutable de quelque chose qui adviendra inéluctablement mais qu’on est instamment prié d’aider à advenir en oubliant tout le reste, voire en se sacrifiant...
La toute-impuissance, c’est tout simplement l’inexistence. Exister, c’est avoir une influence, quelle qu’elle soit.
Monopole
Autre paradoxe redoutable et inhérent au monothéisme, il s’est construit, avant tout, contre tout ce qui est idolâtrie, association (shirk en arabe), et cetera. Mais à quoi sert-il, quel sens cela a-t-il, de croire en Dieu si on ne discerne pas Ses manifestations donc Son point de vue (encore un) quelque part ? Et comment peut-on le faire autrement qu’en choisissant, arbitrairement, tel ou tel élément du monde supposé créé par Dieu, donc tel personnage, tel événement, tel texte, tel phénomène, tel objet, à l’exclusion de tout autre personnage, événement, texte, phénomène, objet, comparables ? Cela, d’autres monothéistes le stigmatiseront avec ni plus ni moins de pertinence comme idolâtrie. Les branches dominantes du Christianisme et de l’Islam se sont doctrinalement stabilisées, après plusieurs siècles, par, respectivement, la Trinité, donc notamment Jésus « engendré non pas créé » (Credo de Nicée), et le Coran « incréé ». Dans les deux cas on dissocie un élément et un seul de la création. Cela a été, est toujours, contesté de l’intérieur et de l’extérieur comme une trahison radicale du monothéisme, comme une forme d’idolâtrie (par les mutazilites au sein de l’Islam, par les chrétiens non-trinitaires au sein du Christianisme). Car que pourrait-il y avoir d’autre, dans un monothéisme vraiment conséquent, que Dieu et Sa création ? Et donc, peut-il y avoir un pur monothéisme ? Peut-il y avoir adoration sans idolâtrie ? En définitive, le monothéisme apparait comme une revendication de monopole de l’idolâtrie. Sauf qu’il y en a plusieurs et qu’ils sont incompatibles entre eux.
En pratique, cela a donné des guerres innombrables, des morts violentes par dizaines de millions, aux temps bibliques entre juifs de diverses tendances[9], et par la suite catholiques contre protestants, sunnites contre chiites ou kharijites, musulmans en général contre chrétiens en général, éliminations sanglantes des hérésies, et cetera ad nauseam.
Même au sein d’une même branche de la même religion cela peut donner des crispations. Ibn Taymiyya (1263-1328) était un ouléma (spécialiste du droit islamique) et théologien syrien particulièrement rigoriste, obtus, intraitable. Et il l’était même face aux autorités, au point de faire plusieurs séjours en prison. Cela ne le calmait pas. Il en profitait pour rappeler vertement à l’ordre ceux de ses codétenus qui négligeaient leurs prières, ou jouaient à des jeux (échecs, trictrac) prohibés selon sa conception sévère de la Charia (comme la musique et bien d’autres choses… les actuels fondamentalistes se réclament largement de lui). Sa dernière incarcération, ordonnée par le Sultan en 1326, venait de ce qu’il s’était un peu trop rudement opposé à la vieille tradition de vénération des tombes des saints (l’Islam a aussi ses saints), idolâtrie selon lui. Il mourut pendant sa détention, on l’enterra. Et sa tombe devint dès lors l’objet d’une ardente vénération.
Au passage, au moins l’Église Catholique a cru pouvoir se mettre à l’abri de l’accusation d’idolâtrie, à propos notamment de ses saints, par le distinguo suivant : on adore seulement Dieu, et on vénère les saints, les reliques, et cetera. Pas de chance, au moins en français le verbe « adorer » s’est dévalué, encanaillé, on adore aussi bien sa petite cousine que les meringues au chocolat. Et « vénérer », moins sollicité, a mieux gardé son rang.
Relativisme
En simplifiant : il y a du bien et du mal partout, donc tout se vaut. En caricaturant : il y a eu des nazis gentils (si, ça s’est trouvé) et des quakers méchants (idem) donc nazisme et quakerisme se valent. N’en déplaise aux défenseurs patentés ou non de l’Islam (puisque ce sont surtout eux qui brandissent le relativisme aujourd’hui), il y a des religions au nom desquelles on n’a jamais tué (Jaïnisme, Ahmadisme, Bahaïsme, etc.).
Réductionnisme
Il s’agit d’une conception de l’Homme, du comportement humain, qui ne veut voir qu’un aspect. Pour Karl Marx, en simplifiant, la vraie nature de l’homme est la totalité des relations sociales, et tous les humains sont le produit d’un stade économique particulier de la société humaine où ils sont nés. Freud prétendait réduire toute aspiration humaine à la faim et au désir sexuel. Burrhus Frederic Skinner et son behaviorisme radical nient la libre volonté, et considèrent toute action humaine comme résultat d’un conditionnement (mais ils ne font guère état de leur propre conditionnement). Le zoologiste, ethnologue et ornithologiste Konrad Lorenz soutient que l’agression chez les humains est innée. Et cetera.
Un peu trop facile.
Gnosticisme et agnosticisme
Le sens de « gnose » et celui de « gnosticisme » ne sont pas clairs, il n’y a pas consensus là-dessus même en laissant celle « de Princeton » (voir plus loin). Au départ, on désignait ainsi un certain nombre de religions minoritaires, d’inspiration chrétienne ou non, des premiers siècles de notre ère. On les connaissait surtout par les réfutations horrifiées d’auteurs chrétiens comme Irénée. La découverte fortuite d’écrits gnostiques chrétiens à Nag Hamadi, en Egypte, en 1946, n’a pas vraiment clarifié. Il n’y a toujours pas de consensus sur le sens précis à donner à ces termes. Quelques extraits représentatifs de l’Evangile de Thomas :
Logion 14 : Jésus dit à ses disciples : « Comparez-moi, et dites-moi à qui je suis semblable. » Simon Pierre lui dit : « Tu es semblable à un ange juste ! » Matthieu lui dit : « Tu es semblable à un homme sage et philosophe ! » Thomas lui dit : « Maitre, à qui tu es semblable, pour que je le dise, mon visage ne parvient absolument pas à le saisir. » Jésus dit : « Je ne suis point ton maitre ; car tu as bu : tu t’es enivré de la source bouillonnante qui est à moi et que j’ai répandue. » Puis il le prit et s’écarta : il lui dit trois mots. Et, lorsque Thomas revint vers ses compagnons, ils le questionnèrent : « Qu’est-ce que Jésus t’a dit ? ». Et Thomas leur répondit : « Si je vous dis une seule des paroles qu’il m’a dites, vous prendrez des pierres et vous me les jetterez, et un feu sortira des pierres et vous consumera ! »
Qu’est-ce que cela veut dire ? Essayons de décrypter. Jésus incarne une sorte de vérité ou valeur suprême, sublime, qui doit être le but à rechercher. Jusque-là, c’est en gros ce que dit le Christianisme (« Je suis la voie, la vérité, la vie… »). Pas de quoi voir une hérésie. Mais aussi, cette vérité est extrêmement difficile à appréhender. Ce n’est pas un Credo auquel on adhère ou pas mais simple à comprendre. Il y a de terribles obstacles, et ils sont essentiellement d’ordre non pas intellectuel mais émotionnel. Mais on peut les passer, certains y arrivent. Cela doit dire quelque chose à quiconque a suivi assez loin une psychanalyse (ou équivalent selon les écoles ou les cultures) jusqu’à affronter et intégrer l’Œdipe chez Freud, l’Ombre ou l’Anima ou Animus chez Jung, et cetera. Justement, Jung se voulait aussi gnostique.
Je vous invite donc à considérer que « gnosticisme » est l’opposé et complémentaire d’« agnosticisme ». Que dit l’agnosticisme ? Qu’on ne peut pas savoir d’où viennent, comment s’articulent, l’esprit et la matière, le bien et le mal, s’il y a ou non une vie après la mort, et cetera. Le gnosticisme pose donc en principe qu’on peut le savoir, ou du moins s’approcher de ce savoir, mais que c’est ardu. En cela il s’oppose aussi au dogmatisme, au c’est-comme-ça-point, qui est notamment la marque du monothéisme.
Idéologie
Au sens large, c’est un ensemble de postulats destinés à donner un sens à la réalité, et par là à définir des objectifs, des priorités, des valeurs, etc. Au sens un peu plus étroit, c’est une vision de ce que doit être idéalement l’avenir de l’humanité. Les problèmes commencent quand l’idéologie entre en conflit avec le sens du réel. Si elle prend le dessus, les pires horreurs humaines peuvent en découler.
L’idéologie est une espérance, le désir d’en finir avec certaines souffrances en éliminant la complexité inhérente à la situation[10].
L’homme souhaite un monde où le bien et le mal soient nettement discernables car est en lui le désir, inné et indomptable, de juger avant de comprendre[11].
Il est paradoxal que Karl Marx, qui a minimisé l’importance des idées par rapport aux forces sociales et économiques impersonnelles, ait, par ses écrits, causé la transformation du vingtième siècle, à la fois vers ce qu’il voulait, et, par réaction, contre[12].
Il y a des hommes qui tueront et mutileront avec la conscience tranquille sous l’influence de mots et d’écrits d’autres hommes certains que la perfection peut être atteinte[13].
Scepticisme
On dit aussi zététique. Le principe a été défini par Pyrrhon (vers 365-275 av JC). Quand on n’a pas accès à la certitude, on « suspend son jugement », on admet qu’on ne sait pas.
Le mot prend souvent aujourd’hui le sens, très détourné, de fanatisme de l’incrédulité par rapport à telle ou telle chose. Un certain Paul-Éric Blanrue a longtemps été un ténor de ce scepticisme-là en France. Sauf que l’incertitude, il ne semble pas la supporter. S’étant risqué à des remises en cause des thèses « officielles » sur Kennedy ou Jeanne d’Arc, ayant découvert que ce n’est pas si simple, il s’est mis à soutenir de façon tout aussi simpliste les thèses officielles. Aux dernières nouvelles, il n’est plus sceptique, il est islamiste.
[1] Frédéric II de Prusse, Examen critique du Système de la nature, 1771.
[2] Paul Watzlawick, La réalité de la réalité, Points, 1984 (édition anglaise 1978).
[3] Max Plank (Max), Wissenschaftliche, Selbstbiographie, Leipzig, J. A. Barth, 1948.
[4] Paul Watzlawick, Les cheveux du Baron de Münchhausen, Seuil, 1991. Toutefois, ce passage de Planck y est commenté deux fois, l’autre étant plus nuancée.
[5] Par exemple dans La conscience expliquée, Odile Jacob, 1991.
[6] John Searle, Le mystère de la conscience, Odile Jacob, 1993.
[7] Vincent Citot sur https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2004-2-page-225.htm#
[8] Arthur Koestler, Le zéro et l’infini, Calmann-Lévy, 1945, p. 308.
[9] Jérémie (8:8) déclare que la Torah de Yahvé a été falsifiée par les scribes. On pourrait penser que depuis les « falsifications » ont été expurgées, mais le même Jérémie (7:22) s’inscrit plus précisément en faux contre les prescriptions de sacrifices supposées données par Dieu après la sortie d’Égypte (d’autres prophètes condamnent aussi les sacrifices). Ces prescriptions figurent toujours dans le Pentateuque, même si plus aucun juif ne les pratique.
[10] René Kaës (Crise, rupture et dépassement).
[11] Milan Kundera (L’art du roman).
[12] Isaiah Berlin, Liberty: Incorporating Four Essays on Liberty, éd. Henry Hardy, 2nd éd. (Oxford, Oxford University Press, 2002).
[13] Isaiah Berlin, idem.
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