La Fraternité cannibale (roman) 2
Suite donc de ce qui précède : 1
6 juin 20**
Bonjour Bob,
D’abord, je te remercie pour tes encouragements. Ils m’ont fait du bien. Et je reprends mon histoire. Charlotte ne m’avait pas vraiment ébranlée. Plus que jamais je me sentais disposée à donner ma vie et ma chair. Mais elle m’avait quand même bien perturbée.
Dans un premier temps, je suis allée me recueillir devant le panneau du souvenir. Je le faisais au moins une fois par jour, même épuisée par le travail. C’est tout un mur d’une salle commune qui commémore toutes celles et tous ceux qui ont déjà bu le bol, qu’on a mangés. Avec leurs portraits, noms, dates de naissance, quelques résumés pas forcément véridiques de leurs vies, des citations, et cetera. Et aussi, des photos de leurs tatouages. Il est conseillé, bizarrement, de se faire tatouer à la FC si ce n’était pas déjà fait. J’en ai d’ailleurs gardé un loup sur une épaule et des roses réparties ailleurs. J’ai par contre fait effacer une inscription depuis que j’en suis partie. Elle était utilitaire. On ne pouvait la voir que quand j’étais nue : « On me regarde tant qu’on veut, on ne me touche pas ! Merci ! ». La signature était une rose aux épines particulièrement en évidence. Cette rose est toujours là, comme les épines de mon caractère, mais elle ne signe plus rien.
Je ne parviens décidément pas à retrouver la sérénité. Je ne parviens plus à être fière de cette fille nue qu’un certain Julien a voulu, peu avant son sacrifice, faire ajouter sur sa poitrine. C’est moi qui ai posé. On peut me reconnaitre, on arrive à distinguer le loup. Je me sens subitement, pour la première fois, horriblement gênée par les évocations de Nicolas et Jordan.
(Houlà ! Est-ce bien utile de raconter même ça ? Je suis encore plus gênée à présent. Mais ces histoires ont joué un rôle important par la suite…).
Comme je te l’ai dit, quand on est désigné pour s’offrir en nourriture on peut exiger du sexe de qui on veut. Et ils l’ont exigé de moi, moi qui en général ne voulait pas de sexe, non par principe mais parce qu’il ne m’avait jamais donné aucun plaisir. J’avais donc dit à Nicolas :
― Sais-tu qu’en général je ne veux pas de ça ?
― Ma volonté est sacrée ! Ne discute pas !
― Sais-tu qu’il y a des filles qui ont très envie de toi ?
― Ma volonté est sacrée ! Mets-toi toute nue !
― Soit, mais je te préviens que si tu te désistes, ou si tu flanches d’une façon ou d’une autre, je t’accuserai de viol. Tu sais ce que ça coute.
― C’est justement pour ça que je le fais avec toi ! C’est pour m’interdire de flancher. Allonge-toi là…
Jordan, quelques semaines plus tard, je l’ai aussi averti. Il a exigé en outre qu’une vidéo soit prise de nos ébats. L’équipe vidéo, dont je faisais moi-même partie, était plus gênée qu’autre chose. Mais pour eux aussi il y avait une volonté sacrée. Il parait qu’il a passé une bonne partie de sa dernière nuit à visionner. Il y a encore eu une suite, j’y reviendrai peut-être.
Mais à présent que ma volonté est aussi devenue sacrée, face à leurs photos, je n’arrive plus non plus à en être fière.
Et bien d’autres images me rappellent bien d’autres épisodes que j’avais crus digérés une fois pour toutes. Maéva, bien sûr, le plus récent. Sylvain qui s’est grotesquement écroulé avec le pantalon sur les chevilles. Et Leïla, dont les dernières volontés se sont résumées à : « Je veux mourir ». Conséquente, elle s’est aussitôt jetée sur le bol, sans attendre qu’on le lui tende. Et puis elle a fait ce qu’il fallait pour accélérer l’action du poison. Et Louis, arrivé avec Charlotte, Maéva, et moi, qui trois jours avant de boire le poison me disait encore qu’il ne se sacrifierait jamais. Et Olga, dont les dernières volontés ont duré une demi-heure, pour raconter le drame qu’avait été pour elle le divorce de ses parents. C’était pour les réconcilier qu’elle avait choisi, à leur insu, de se donner puis de se sacrifier à la Fraternité Cannibale. Jusqu’à présent, je trouvais admirable cette foi dans l’efficacité du rituel. Je prévoyais de dire aussi, plus brièvement et parmi bien d’autres considérations, quelque chose sur mes parents à moi dans mes dernières volontés. Maintenant, cela m’angoisse. J’essaie de me concentrer sur Emilie, mangée le vendredi avant Maéva. Je n’en ai que de bons souvenirs, et néanmoins pas trop de nostalgie car elle était discrète et réservée au plus haut point. Elle ne s’avançait jamais quand quelqu’un flanchait. Elle tenait à sa semaine de quartier libre, mais elle était prête. Et puis elle en a eu deux, de semaines avec sa volonté sacrée. Pour la première, elle a dû laisser la place à Karine. Pourquoi Karine, qui ne se proposait jamais autant que je sache ? J’ai entendu l’explication suivante : elle s’était trouvée enceinte. En général et en principe, on nous faisait avaler, à nous les filles, ce qu’il fallait pour l’éviter, à notre insu et sans même avoir à nous en soucier. Mais il y a parfois des ratés. Cela justifie-t-il de pousser la malheureuse au sacrifice ? Je me suis dit alors qu’il devait y avoir quelque chose de plus sérieux, ou que c’était une de ces rumeurs idiotes qui circulent. J’ai oublié, mais à présent cela revient en force.
Celles et ceux que je viens d’évoquer, je les ai vus. Je n’avais donc pas été particulièrement choquée sur le moment. Maintenant je ne supporte plus. Je passe à des cas antérieurs à mon arrivée. Voici Cécile et ce que Denis m’a raconté. Voici Mathilde, qui ne devait pas se sacrifier mais remettre le bol de poison à Serge, lequel ne montrait aucun signe d’hésitation. Mais c’est elle qui l’a bu, d’un seul trait, et puis elle a aussi fait en sorte de mourir vite. Il a été décidé, non sans délibérations, de la manger, elle. Serge s’est sacrifié le vendredi suivant. Il a donc eu, comme Emilie plus tard, une semaine supplémentaire de liberté. Mais, contrairement à cette dernière, restée plus discrète que jamais, il s’est montré infernal, insultant tout le monde. Bien sûr, ce n’est pas mentionné sur le panneau, mais je l’ai entendu plusieurs fois.
Je sens une présence dans mon dos. Je me retourne, je vois Bernard, à trois mètres. C’est de loin le plus âgé, il a largement passé la cinquantaine. Ses multiples compétences le rendent indispensable. Je me rends compte qu’il préfère repartir au vu de mon expression. J’ai beau être perturbée, il a beau m’intimider plus qu’autre chose en temps normal, je n’oublie pas que ma volonté est sacrée :
― Bernard, veux-tu bien venir m’embrasser !
Il s’empresse d’obtempérer. Il semble vouloir à nouveau se retirer. J’ordonne sèchement :
― Tu restes !
Et je n’ajoute rien, et je ne le regarde même pas. C’est seulement à présent que je mesure l’incongruité. Je considère encore le panneau. Il arrive à prononcer :
― Rose, tu avais l’air bien plus sereine quand je t’ai croisée ce matin.
― C’est vrai. Quelqu’un m’a perturbée.
― Tu ne veux plus te sacrifier ?
― Si ! Plus que jamais !
― Peux-tu me dire qui t’a perturbée ?
J’hésite une seconde et puis je lance :
― Rémi !
Ce n’est pas vrai. Celui-là, j’ai pu lui dire ma façon de penser et donc c’est digéré. Mais pas question de dénoncer Charlotte. Je précise :
― Ce n’est pas tellement ce qu’il m’a dit. J’ai pris d’un seul coup conscience de ce qu’il vaut, ce type…
― Bon, je veux bien admettre que c’est le plus déplaisant, le plus détestable même. Mais c’est que les autres sont mieux, non ?
― Mouais…
― Sais-tu qu’avant ton arrivée on a connu bien pire ? Tiens, par exemple.
Sur le panneau, il désigne une certaine Amandine, TVM, mangée six mois avant ma venue. C’est une des rares dont il n’y a pas de portrait, à sa demande. À la place, un tatouage, une horrible tête de dragon.
― Rémi, il était comme il est à présent mais c’était un ange à côté. Il en avait peur comme tout le monde.
― Bon, enfin, elle a été mangée, et j’ai cru comprendre que Rémi le sera après moi.
J’ai donc retrouvé une certaine sérénité sans plus penser à Charlotte, au moins pour le moment. Je suis sur le point de remercier Bernard, de lui dire qu’il peut disposer. Mais voici qu’il pointe deux autres cas, trois mois avant celui d’Amandine. Hugo s’est sacrifié, est-il écrit, « pour obtenir un changement salutaire ». Angélique s’est sacrifiée une semaine après « pour obtenir un changement salutaire ». Bernard me demande :
― Sais-tu ce que c’étaient, ces changements salutaires ?
― Non. Enfin, j’ai bien dû le demander à l’occasion, mais je n’ai jamais eu de réponse.
― Hugo voulait qu’Amandine ne soit plus TVM. Il ne demandait rien d’autre. Il ne s’était jamais proposé auparavant.
― Et Angélique ?
― Elle voulait qu’Amandine redevienne TVM, et rien d’autre. Elle non plus ne s’était jamais proposée avant.
Je reste muette un long moment, et puis j’éclate :
― Tu avais besoin de me raconter ça maintenant ? Tu sais que tu vas me manger ?
― Je…
― Dégage !
Il s’en va bien vite. Et je me retrouve à penser non pas à Rémi ou Amandine, mais à Charlotte. C’est trop d’émotions négatives, oppressantes, d’un seul coup. Je pleure, je ne suis pas loin de hurler.
Pour l’évacuer, je décide d’aller brasser le compost. C’est le travail le plus ingrat, le plus pénible, le plus ennuyeux, le plus malsain. On entasse sur un espace à l’abri de la pluie mais ouvert sur les côtés (autrement ce serait irrespirable) les déjections de toute la communauté, des masses de matières végétales pourrissante, certains insectes, et aussi les restes humains non mangeables des repas du vendredi soir. Il convient donc de tout bien mélanger et brasser avec des fourches. On ne contraint personne à le faire. On sait que celles et ceux qui s’y dérobent seront méprisés et brimés, à moins de se racheter en s’épuisant ailleurs. Des TVM s’y astreignent aussi. Charlotte y vient plus souvent qu’à son tour. Car, tant que le cannibalisme n’est pas concerné, elle tient à montrer sa bonne volonté. Autrement elle n’aurait pas été tolérée aussi longtemps.
Il y a déjà un gars. Il est de ceux avec qui j’aime discuter. Il est nu, c’est permis et même recommandé pour ce travail. Je me dis que je vais peut-être enfin retrouver la paix intérieure. Mais, à ma surprise, dès qu’il me voit, il me demande :
― Rose, tu ne veux donc plus être mangée ?
― Bien sûr que si ! Et toi aussi tu vas me manger !
― Alors excuse-moi, tu ne devrais pas faire ça à présent.
― Sais-tu que ma volonté est sacrée ?
― Rose, enfin, je t’ai observée au repas, hier soir. Tu prends scrupuleusement ce qui va améliorer ta viande…
― C’est vrai. Je veux qu’on puisse dire dans mon évocation, sans tricher, que j’ai tout fait pour que ma chair soit la meilleure possible.
L’évocation, c’est un discours enregistré, en mémoire et à la gloire d’une personne déjà mangée. On en diffuse à chaque repas du soir, le seul moment où toute la communauté est rassemblée. Sauf le vendredi, où on mange quelqu’un. Il remarque :
― Tu n’y es pas obligée…
― C’est vrai aussi. Maéva avalait n’importe quoi, et j’ai trouvé que ça se ressentait quand j’ai mangé ma part.
― Alors ne reste pas ici !
Certains considèrent en effet que respirer la merde juste avant de se sacrifier peut altérer la chair. Je ne suis pas d’accord, mais je n’insiste pas. Je lui demande de m’embrasser et je le laisse.
Alors je décide d’aller nager, pour me détendre, pour ne pas être la seule nue, dans le plan d’eau ad hoc. D’abord je ne trouve personne. Aussitôt, alors que je m’apprête à plonger, voici qu’arrive un gars. Il se déshabille devant moi. Je suis encore très nerveuse et donc irritable. Il me semble qu’il est venu pour moi. Je lui montre, sèchement, mon tatouage. Il s’offusque à juste titre.
― Rose, est-ce je t’ai importunée, des fois ? Je le sais, que tu ne veux pas de sexe. Tu devrais savoir, toi, que j’ai une partenaire attitrée et que j’entends lui rester fidèle…
Je le sais, je devrais m’excuser. Pourtant je hausse le ton :
― Même si je vais être mangée et que je te sollicite ??
― Heu, excuse-moi, tu me sollicites ? Il faudrait savoir…
― Non, merci, ni toi ni personne. C’était juste pour me défouler. Je te demande pardon.
Il y avait encore de la hargne dans cette demande de pardon. Pourtant je n’ai jamais rien eu à lui reprocher. Là, il me considère avec perplexité. Je n’ai aucun mal à deviner ses pensées. Je comprends qu’il déplore ma candidature, qu’il préférerait que je me désiste. Lui-même ne veut pas être mangé, et ne serait pas triste si un vendredi s’écoulait sans que personne se propose. Mais, contrairement à Charlotte, il ne prendra pas le risque de le dire franchement. Il ne veut pas d’ennuis. Et puis, subitement, voici qu’il se souvient d’un travail qui l’attend ailleurs. Il n’est même pas allé dans l’eau et pourtant je sais qu’il aime ça. Il se rhabille, il me laisse. Quand je pense à lui demander de m’embrasser, il est loin.
Je plonge, je multiplie les longueurs. Le but est aussi, consciemment, de me muscler pour optimiser la part de viande que je vais offrir en mourant à la communauté. L’apaisement est loin d’être satisfaisant. Alors que je me flatte d’être assez bonne nageuse, je bois la tasse à plusieurs reprises. À chaque fois je retourne sur la berge, reste allongée un moment, cherche le sommeil, ne le trouve pas, replonge. J’y retourne dans l’après-midi. D’autres viennent se baigner et comprennent très vite qu’il vaut mieux éviter de me parler. Ils vont me manger bientôt et savent que ma volonté est sacrée. Je commence à me dire que si je veux « bien mourir », comme je l’ai promis, je devrais essayer de me calmer. Mais aussi, j’ai presque une semaine pour cela.
Voici que Ludo vient me trouver. Je vais beaucoup en parler, de Ludo. Nous nous sommes enfuis ensemble et nous vivons présentement ensemble, mais n’anticipons pas. C’était en somme l’anti-Rémi, le TVM le plus ouvert, toujours disponible pour expliquer patiemment les choses. Il était de ceux qui brassaient régulièrement le compost. Et surtout, mon superviseur attitré. Je me dis qu’il a appris, d’une manière ou d’une autre, que je suis un peu en crise, que peut-être je ne vais plus vouloir être mangée. Il m’invite à sortir de l’eau. Peut-être qu’avec un autre j’invoquerais ma volonté sacrée pour y rester, mais avec lui, non. Il tend la main pour m’aider, je veux bien la prendre. Je lui fais signe de m’embrasser, il s’exécute. Il promène un instant ses mains sur mon dos nu, mais les retire très vite au premier grognement.
Je crois pouvoir lancer :
― Si ça peut te rassurer, j’ai toujours l’intention de me sacrifier vendredi, et du mieux que je pourrai.
Je m’apprête à replonger, mais il me retient :
― Rose, ton sacrifice est reporté !
― Pardon ??
― Ton sacrifice est reporté !
― On n’a pas le droit !
― Tu oublies un cas de figure…
― Il y aurait un cas de maladie incurable, comme ça, d’un seul coup ??
Le sacrifice du vendredi peut être une euthanasie, pour quelqu’un qui souffre, qu’on n’arrive pas à soigner (j’ai appris depuis que ce peut être provoqué), et qui refuse de quitter l’ile. La priorité est alors absolue. Mais on le sait toujours plus longtemps à l’avance. Il confirme :
― Oui, Rose.
― Qui ?
― Charlotte…
― Ce n’est pas possible !! Enfin, je l’ai vue aujourd’hui, elle se porte plutôt mieux que moi ! C’est comme Karine ?
― Non.
― Alors quoi ?
― Je ne sais pas ce qui s’est passé. Ce n’est pas moi qui ai mené l’affaire. Je sais par contre qu’elle a l’intention de te convoquer pour t’expliquer ça en tête-à-tête, sans témoin.
― Seulement moi ?
― Et quelques autres, selon sa volonté sacrée, mais séparément. Et je n’ai pas à te dire qui sont les autres.
― Bon, alors, il faut qu’on me rende mes fringues et que je me remette au travail…
― Pour le moment, tu es considérée comme désignée pour le vendredi d’après. Tu as toujours quartier libre avec ta volonté sacrée. Tu peux rester comme ça. Enfin, tu vas quand même avoir du travail. On va procéder à la cérémonie de désignation de Charlotte. Elle-même souhaite que tu te charges de la vidéo.
― Donc, au moins pour ça, je dois être habillée…
J’ai beau aimer me sentir et me montrer nue, il y a des circonstances où je trouve cela inconvenant.
― Rose, Charlotte veut que mêmes les officiants soient nus. Elle n’est pas la première, tu le sais.
C’est aussi une façon classique de s’interdire de flancher. Mon étonnement grandit encore, mais je ne dis plus rien. Il conclut :
― On te rendra tes vêtements après, mais tu n’auras à te couvrir que pour le soir du sacrifice. Vas-y de suite, on t’attend.
Car à chaque fois qu’une personne est désignée il y a un cérémonial. Il y en a eu un pour moi. Et à chaque fois une vidéo est prise, et donc je fais partie de l’équipe vidéo même si c’est loin d’occuper tout mon temps. C’est là que je me suis déshabillée, devant les caméscopes. Cette tâche est de celles qui me plaisent. Je me dis que, tant que je n’aurais pas eu cet entretien avec Charlotte, je ne peux que suivre les directives. Je vais vers le local, à une minute de marche. Je la trouve habillée, une robe rose que je ne connaissais pas. Les trois TVM de service, deux hommes et une femme, sont nus.
Elle m’embrasse. Très vite, on me fait comprendre que je n’ai pas à juger ni commenter. On attend autre chose de moi. Je dispose et règle les éclairages et les caméscopes. Cette mission me donne une certaine autorité, jusqu’à la mise en scène. C’est moi qui fais placer les gens, par exemple, en fonction de la lumière et d’autres considérations encore. Et je m’en acquitte très consciencieusement. Cela m’évite de penser, de me demander ce qui a bien pu se passer dans la tête de Charlotte, comment elle a pu en arriver là. Je donne enfin le feu vert. Le rituel commence. Il y a comme un maitre de cérémonie.
― Charlotte, bénie sois-tu, acceptes-tu de donner ta vie et ta chair ce vendredi ?
― Oui.
La réponse la plus classique aurait été : « Oui très vénéré maitre ». Mais on a renoncé à l’exiger. Venant d’elle, cela aurait été perçu comme de l’ironie.
― Charlotte, bénie sois-tu, peux-tu nous dire pourquoi ?
― Pour nourrir la communauté, pour le bien de l’humanité. Puisse ma mort être belle et puisse ma viande être bonne.
Elle l’a dit sur un ton neutre, comme si elle n’y croyait pas vraiment. Mais elle l’a dit, sans rien changer au rituel en-dehors de l’omission que j’ai mentionnée. Et pour moi, et pas que pour moi, c’est sidérant. Aurait-elle été touchée par la grâce ? Toujours devant les objectifs, tout le monde l’embrasse, moi la dernière. Ce n’est pas encore fini.
― Charlotte, bénie sois-tu, tu sais que tu peux organiser tes derniers jours comme tu l’entends. As-tu des demandes à formuler ? Tu n’ignores pas que, dans la mesure où on peut la satisfaire, ta volonté est sacrée.
― J’en vois qui ont peur. Je ne veux déranger, ni encore moins agresser, personne.
Comme je te l’ai déjà un peu dit, certains se permettent de gifler voire frapper durement y compris les très vénérés.
Charlotte est moins exigeante :
― Dans l’immédiat, tout ce que je veux c’est qu’on me laisse en paix ! Je vais m’installer au bord du canal ouest. J’aime cet endroit. Je sais qu’il n’y a rien de particulier à y faire. On voudra bien mettre en faction un gars qui assurera ma tranquillité et se tiendra prêt à recueillir mes demandes si j’en ai. On voudra bien aussi m’apporter mon repas à l’heure habituelle, sans commentaire.
Rien d’anormal ni d’exceptionnel dans tout cela. Je sens comme un soulagement chez les trois très vénérés. Ils devaient décidément craindre des demandes plus ennuyeuses de sa part.
― Charlotte, bénie sois-tu, nous allons prendre les dispositions pour te satisfaire. Tu peux disposer.
Et moi aussi donc. Je comprends vite que tout a changé. On me regarde autrement. On me restitue mes vêtements, y compris des sandales à ma pointure alors que je suis constamment pieds nus depuis des mois, par convenance personnelle. Je ne tarde pas à me rhabiller et puis à reprendre mes activités normales.
On ne m’y obligeait pourtant pas. Alors pourquoi l’ai-je fait ? En partie parce que j’en avais un peu assez de me singulariser. Peut-être en partie aussi, mais je ne me l’avoue qu’à présent, parce que je n’étais pas si pressée que ça de mourir. Je n’en répétais pas moins à tout venant que j’espérais être formellement désignée pour être mangée dans dix jours. C’était ma façon à moi de m’interdire de flancher.
Le lendemain matin, Denis vient encore me trouver. Nous nous embrassons, et puis il va droit au but.
― Rose, je viens de voir Charlotte, à sa demande. C’est ton tour, elle veut te parler.
J’y vais en me demandant si elle ne va pas, elle aussi, me réclamer du sexe. Cela ne doit pas te choquer puisque tu as évoqué sa bisexualité. Et dans ce cas je ne pourrai que m’y plier. Mais non. Je la trouve habillée comme la veille. Nous ne faisons que nous embrasser et puis elle lance :
― Rose, ça va ?
― Disons, plutôt oui… j’ai préféré me rhabiller comme tu vois, et reprendre mon activité normale…
Elle jubile :
― À la bonne heure !
― Mais j’espère toujours être désignée pour le vendredi suivant.
Elle montre une vraie déception :
― Tu n’as donc toujours pas compris…
― Pour le moment, c’est surtout toi que j’aurais besoin de comprendre, si ce n’est pas heurter ta volonté sacrée.
― Je t’étonne, hein ?
― Oui, tu m’étonnes. Enfin, peut-être que tu as l’intention de flancher…
― Non, je n’ai pas cette intention, surtout que tu serais assez idiote pour prendre la place.
― Je dois être idiote en effet, parce que je comprends encore moins.
― Je me sens vraiment prête à mourir. J’en ai marre depuis un bon moment. Tu vas me manger, toi aussi, et je te dis de bon cœur bon appétit ! Enfin, je peux être trahie par mes nerfs au dernier moment comme tant d’autres, mais je ne perdrais rien pour attendre…
― Je ne comprends toujours pas. Il ne doit y avoir aucune sanction, ni même aucun reproche, pour les gens qui ont flanché. Tu en connais comme moi, à commencer par Denis.
Elle jette un regard alentour, elle se met à parler plus doucement, comme si elle craignait des écoutes.
― Je vais t’expliquer. Quand je suis allée te trouver, hier, j’espérais te trouver seule. Mais il y avait Rémi. J’ai attendu, de loin, qu’il s’en aille. Je ne me suis pas assez méfiée. Il m’a vue. Il est revenu sur ses pas. Il s’est planqué, il nous a espionnées et même enregistrées. Il m’a dénoncée. Je filais déjà du mauvais coton, comme ils disent. Dans leur grande bienveillance, les très vénérés m’ont accordé, plutôt de justesse, cette chance de me racheter et de profiter du poison.
C’était ironique, mais pas totalement. Ce poison est un mélange élaboré. Il comporte tout ce qu’il faut pour mourir sereinement et même joyeusement, ainsi que pour éviter les phénomènes gênants comme sueur, déjections, tremblements, et cetera, a fortiori pour éviter toute douleur. Elle dit encore :
― Et puis ça me permet de te sauver pour cette fois. Surtout, je leur réserve un tour à ma façon. Non, je ne vais pas te le dire. Tu verras, tu entendras… et j’ose espérer que tu comprendras, et pas que toi. Maintenant, je te demande de me laisser.
Sa volonté étant toujours sacrée, je n’ai plus qu’à obtempérer. Et je vais directement trouver Rémi. Je pensais l’engueuler. C’est lui qui dégaine le premier :
― Rose, tu me déçois beaucoup. Tu n’as pas honte ?
― De quoi ?
― Tu te laisses dire ce genre de chose… je pensais que tu allais directement dénoncer. J’ai attendu en vain. Je m’en suis chargé.
J’ai beaucoup, beaucoup de mal à garder mon calme, mais j’y arrive.
― Rémi, tu ne sais donc pas que ce sont tes collègues TVM qui m’ont demandé d’entretenir autant que possible de bonnes relations avec les rebelles ?? Et donc de les mettre en confiance, et donc de mériter leur confiance, et donc de ne dénoncer que les mauvaises intentions ?? Je considère qu’il n’y en avait pas…
Je ne sais pas encore, ou plutôt je ne veux pas savoir, qu’il y a beaucoup de tensions et de divergences, voire de haines, entre TVM. Il s’énerve.
― Rose, il faudrait quoi, pour que tu dénonces ??
― Sabotage, ce genre de choses, ou tentatives de révéler des secrets à l’extérieur. Il y en a déjà eu, non ? Mais, si des gens en viennent à penser que le cannibalisme est mauvais, il vaut mieux qu’ils le disent, qu’ils puissent le dire en confiance à quelqu’un. Je trouve que tu as très mal agi. D’ailleurs, pratiquement, tu m’as aussi dénoncée. Tu es le seul à me reprocher ça. Pourtant j’étais présente à la cérémonie d’acceptation. Tout le monde savait ce qu’il en était… enfin, tout le monde sauf moi à ce moment. Crois-tu d’ailleurs qu’on m’y aurait confié la vidéo, avec tout ce que ça implique, si on était mécontent de moi ?
Ce dernier argument était discutable puisque c’était Charlotte qui m’avait assigné cette tâche. Mais il n’a plus rien objecté. Il m’a regardée avec des yeux ronds. Et puis il m’a laissée, subitement, sans un mot. Je ne l’ai plus jamais vu. On m’a dit qu’il avait quitté le centre et qu’il ne fallait plus penser à lui, en tout cas ne plus en parler. Ce n’était ni le premier ni le dernier, y compris parmi les TVM, à disparaitre du jour au lendemain. J’ai cru comprendre qu’il était passé, d’un seul coup, de l’adhésion zélée et fanatique à la révolte totale. Je ne savais pas encore que ma révolte à moi n’était plus qu’une affaire de quelques semaines.
Maintenant, je dois te raconter le sacrifice et la mort de Charlotte. Excuse-moi, j’ai encore besoin d’y réfléchir.
Amicalement,
Rose.
7 juin 20**
Bonjour Bob,
Le vendredi suivant, à l’heure habituelle, une délégation est allée prier Charlotte de se rendre sur l’estrade habituelle pour faire don de sa vie et de sa chair à la communauté. Émoi, elle ne se trouve pas sur le canal. Elle n’aurait pas été la première à disparaitre ainsi au dernier moment, définitivement. Mais voici qu’elle se présente d’elle-même, consentante, bien à l’heure prévue. Il n’y aura pas de retard. C’était une dernière facétie que l’on se garde bien de commenter.
Dès le début elle se montre résolue, sereine, impressionnante. Le rituel, il y a bien sûr un rituel, se déroule sur une estrade, en présence de toute la communauté. Il y a donc une centaine de personnes. Tous et toutes ont revêtu leurs meilleurs habits. Pour ma part, je porte comme à chaque fois la « robe du sacrifice », sans rien dessous. Elle est longue, d’un bleu brillant. Elle me donne l’air d’une madone. Si au dernier moment la personne flanche, ne veut plus mourir, et si c’est moi qu’on désigne, cette robe est conçue pour être retirée d’un coup en une seconde, grâce à des scratchs. Je l’ai confectionnée moi-même. La nudité est recommandée quoique non obligatoire quand on se sacrifie. Certains, comme je l’avais décidé pour moi-même, s’y sont mis bien avant. Mais d’autres le font à n’importe quel stade, ou pas du tout. On voit parfois des déshabillages laborieux, voire des stripteases sophistiqués. Cela me gêne même si, bien sûr, la volonté de la personne est sacrée. Pour le moment, Charlotte reste habillée, short et débardeur banals.
Des caméscopes sont disposés. Je suis encore chargée de l’un d’eux. L’éclairage est étudié. Il y a aussi une sorte de maitre de cérémonie qu’on appelle l’ordonnateur ou l’ordonnatrice (pour une femme c’est un homme et vice-versa, sauf demande particulière de la personne, sa volonté étant sacrée en cela aussi). Il lui demande :
― Charlotte, bénie sois-tu, acceptes-tu toujours de donner ta vie et ta chair ?
― Oui.
La réponse la plus classique et la plus formelle aurait été là aussi : « Oui, très vénéré maitre ». Mais là encore on ne l’a pas entendue ainsi depuis bien longtemps. Les très vénérés se sont fait une raison.
― Charlotte, bénie sois-tu, mesures-tu ce que cela implique ?
À ce stade, la personne qui se sacrifie doit montrer, de préférence en personnalisant sa réponse, qu’elle est consciente d’aller à la mort. Elle n’a plus qu’une heure à vivre à moins de reculer au dernier moment. Un peu d’humour est admis, du genre : « Oui, je le sais. Il vous serait désagréable de me manger vivant, et ce le serait encore plus pour moi. On n’a pas le droit de me tuer donc je vais m’en charger ». Je me demande si la surprise annoncée ne sera pas là. Elle prononce :
― Oui, je le sais. Me sacrifier, me tuer, m’éliminer, me liquider, me supprimer.
Un petit froid, mais on a souvent entendu l’équivalent voire pire. L’ordonnateur reprend comme si de rien n’était :
― Charlotte, bénie sois-tu, sais-tu que, tant que tu n’auras pas bu le bol, tu pourras reculer ?
Elle répond cette fois classiquement :
― Oui, je le sais.
― Charlotte, bénie sois-tu, sais-tu que dans ce cas il n’y aura aucune sanction, que personne ne te reprochera rien, qu’on mangera quelqu’un d’autre, ou personne s’il ne se présente personne ?
J’ai donc mon rôle dans ce cérémonial. Mon principal souci est de produire la meilleure vidéo possible, pour honorer la mémoire de Charlotte. Cela n’empêche pas de le vivre dans toutes ses dimensions. Pas de larme, mais quand même des sentiments. À ce moment, je retiens particulièrement mon souffle. Je sais ce qu’il en est, et je ne suis pas la seule. Mais la réponse est cette fois encore standard :
― Oui, je le sais.
L’émotion, autant dire le soulagement de beaucoup, est perceptible. Je me demande, et je ne dois pas être non plus la seule, si elle ne vient pas, sous l’emprise du cérémonial, de rentrer dans le rang au plus profond d’elle-même. Mais personne ne commente, même en aparté. Prendre la parole pendant un sacrifice est une faute très grave, très sévèrement punie. Charlotte l’a été une fois pour cette raison. Elle a disparu de la circulation pendant plusieurs jours. Je me suis demandé un moment si je la reverrais. Elle est revenue, mais elle ne m’a jamais dit ce qu’elle avait vécu alors. Et elle n’a jamais non plus récidivé. Je reviens au rituel.
― Charlotte, bénie sois-tu, tu sais que tes dernières volontés seront observées dans toute la mesure du possible. La communauté s’y engage par ma bouche. Veux-tu les formuler ?
― Oui, je le veux. Que je sois la dernière à être mangée ! Qu’on arrête de croire que les sacrifices font du bien au monde ! Pourquoi les Aztèques sacrifiaient-ils des gens sur leurs pyramides ? Ils les mangeaient, mais ça aurait pu se faire sans pyramide ! C’était surtout pour faire briller le soleil. Est-ce qu’ils sacrifient toujours ? Est-ce que le soleil s’est arrêté de briller ?
Émoi encore plus perceptible, et pourtant la discipline et les habitudes sont telles qu’absolument personne ne commente. Elle rappelle un certain nombre de cas où des dernières volontés qui paraissaient raisonnables et justifiées n’ont pas été suivies d’effet. La pluie espérée s’est faite encore longtemps attendre, et cetera. Et puis elle se tait. On attend la suite quelques secondes. Les dernières volontés peuvent occuper jusqu’à une heure. On doit les écouter en silence, même si elles sont ineptes ou totalement irréalistes, ou si elles se contredisent les unes les autres. Une fois, un gars s’est exprimé dans une langue que personne d’autre ne comprenait, qu’on n’arrivait même pas à identifier. Et il a bu le bol, et on l’a mangé. Tout étant pris en vidéo, on a cherché très sérieusement ce qu’il avait bien pu vouloir dire. J’y ai contribué, et avec le plus grand zèle. En vain.
Mais Charlotte fait signe qu’il n’y aura rien d’autre. Elle a regardé l’assistance. Je crois bien, mais j’y pense seulement à présent, qu’elle a été tristement déçue par l’absence de vraie réaction. Le désespoir a définitivement pris le dessus. Donc, elle attend le poison qui la fera mourir. L’ordonnateur, un peu inquiet, se tourne vers ses collègues TVM. Ils lui font signe de continuer comme si de rien n’était.
― Charlotte, bénie sois-tu, sais-tu que quand tu auras bu le bol tu auras vraiment donné ta vie, et il ne sera plus question de la reprendre quand bien même tu le demanderais ?
On a vu des gens, après avoir bu, prétendre qu’on les avait forcés, ou demander un contre-poison, ou se mettre un doigt dans la gorge, certainement pour se faire vomir. Une fois, une fille s’est mise à crier que c’était un assassinat. On ne fait alors que chanter plus fort. Car il y a un chant, lancé aussitôt après l’absorption du poison. Je reviens à Charlotte. Elle répond toujours calmement :
― Oui, je le sais.
― Voici le bol.
Il le lui tend. Elle ne le prend pas tout de suite. Nouvel émoi perceptible dans l’assistance. Elle se déshabille, entièrement. Il est courant de le faire à ce stade. Comme je l’ai dit, des gens le font aussi bien après avoir bu le poison. Aujourd’hui, mais seulement aujourd’hui, je me dis qu’elle voulait encore gagner quelques secondes, non par peur mais dans l’espoir de voir enfin une réaction significative à ses paroles. Elle prend le récipient fatal, sans trembler…
(En fait, si, elle tremblait et montrait bien d’autres signes d’émotion difficilement maitrisée. Mais c’est à son frère que je m’adresse…).
Elle le boit lentement, sans jamais hésiter. Elle va expirer dans l’heure, personne n’a vécu plus longtemps après avoir bu. Elle sait que si le poison n’agit pas assez vite on la piquera discrètement. Et donc moi-même je vais vivre, au moins une semaine sauf accident improbable. Autrement j’aurais probablement repris la place puisque Rémi était déjà hors circuit.
Quand on a bu le bol, il y a plusieurs options. La première consiste à marcher ou danser sur place pour finir plus vite. Une variante plus discrète consiste à accélérer sa respiration. Mais le mieux, ce qui est conseillé, est encore de s’allonger calmement pour durer un peu plus. Concrètement, pour entendre le chant jusqu’au bout. Il y a donc ce chant qui accompagne l’agonie, pour marquer l’affection et la reconnaissance de la communauté. Il est obligatoire d’au moins murmurer les paroles si on n’est pas capable de bien chanter. Pour ma part j’en suis capable, ayant été membre de la chorale d’enfants de mon église. Tu sais déjà, par le forum, que j’étais catho au départ. J’y mets tout mon cœur, sans pour autant négliger le tournage. Charlotte reste un instant debout, immobile. Elle regarde l’assistance. Il me semble qu’elle termine par moi, bien moi et pas l’objectif. Elle s’allonge, elle ferme les yeux. Étant au premier rang derrière mon caméscope, je peux voir sa respiration ralentir, puis s’arrêter, au bout de peut-être une demi-heure. Quelques minutes encore, et puis l’ordonnateur annonce solennellement sa mort et « bénie soit-elle à jamais ». Il invite qui le souhaite à s’en assurer. Ce n’est pas de pure forme. À ce stade, n’importe qui peut s’avancer. À condition de respecter la gravité de circonstance on peut même dénuder la poitrine si ce n’est pas déjà fait, et la palper. Il est par contre interdit de toucher à la tête ou aux parties génitales. Cela se fait de moins en moins, et cette fois personne ne bouge. Enfin, on emporte le corps.
Voilà. Je ne sais pas vraiment ce que tu as pu ressentir, même si je peux l’imaginer. Tu n’as pas vu mes larmes sur le clavier. J’aimerais tes commentaires avant de continuer.
Amicalement,
Rose.
Suite 3
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