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Contre Apion (Flavius Josèphe)

Extrait un peu adapté d'un mien livre édité en 2020, voir ICI.

Flavius Josèphe est d'abord l'historien de référence pour tout ce qui concerne les événements de Palestine au premier siècle de notre ère. Il a aussi produit le pamphlet dont il est question ici, pour contrer et dénoncer certaines calomnies antijuives. Ces calomnies, on ne les connaît plus que par lui. On y trouve en quelque sorte la version égyptienne de l'Exode, très différente forcément de celle de la Bible, et pourtant il y a des points communs. D'abord Manéthon (que l'on ne connaît guère, d'une manière générale, que par des citations d'autres auteurs) :

Il prend la liberté, sous prétexte de raconter les fables et les propos qui courent sur les Juifs, d'introduire des récits invraisemblables et veut nous confondre avec une foule d'Égyptiens lépreux et atteints d'autres maladies, condamnés pour cela, selon lui, à fuir l'Égypte (p43).

Ce qui sera encore aggravé par un autre auteur égyptien, Lysimaque :

D'après lui [Lysimaque], sous Bocchoris, roi d'Égypte, le peuple juif atteint de la lèpre, de la gale et d'autres maladies, se réfugia dans les temples, et y mendiait sa vie. Comme un très grand nombre d'hommes étaient tombés malades, il y eut une disette en Égypte.

Sur indication d'un oracle, les lépreux et les galeux sont noyés et les autres Juifs (on ne sait pas très bien ce que représentent les Juifs dans ce contexte), considérés comme également impurs, sont chassés dans le désert pour qu'ils périssent. Sauf que...

Ceux-ci s'assemblèrent, délibérèrent sur leur situation ; la nuit venue, ils allumèrent du feu et des torches, montèrent la garde, et, la nuit suivante, après un jeûne, ils prièrent les dieux pour leur salut. Le lendemain, un certain Moïse leur conseilla de suivre résolument une seule route jusqu'à ce qu'ils parvinssent à des lieux habités et leur prescrivit de n'avoir de bienveillance pour aucun homme, ni de jamais conseiller le meilleur parti, mais le pire, et de renverser les temples et les autels des dieux qu'ils rencontreraient (p56).

Et donc les autorités égyptiennes, loin de retenir à toute force les Juifs comme le veut l'Exode, les auraient finalement chassés parce que contaminés, ou impurs en lien (pas forcément clair) avec une maladie contagieuse ! Rappelons que les épidémies figurent en bonne place parmi les fameuses plaies d'Egypte... et que l'accusation de propager la peste et d'autres épidémies reste un des chevaux de bataille de l'antisémitisme extrême. Les autres versions citées et condamnées par Josèphe vont dans le même sens, même s'il ne manque pas de souligner leurs contradictions. On trouvera encore cette histoire dans un étrange ouvrage du dix-septième siècle, vaguement inspiré de Spinoza, et qui a beaucoup circulé, plus ou moins sous le manteau, tout au long du siècle suivant. C'est le Traité des trois imposteurs (comprendre : Moïse, Jésus et Mahomet).

Le célèbre Moïse, petit-fils d'un grand magicien, au rapport de Justin Martyr, s'étant rendu chef des Hébreux, que l'on chassa d'Égypte par édit, parce qu'ils infectaient tout le pays de rogne et de lèpre dont ils étaient gâtés, fut un de ceux qui suèrent avec le plus d'adresse de ce stratagème. Après six jours de marche dans une pénible retraite, il commanda à ces misérable bannis de consacrer le septième à Dieu, par un repos public, afin de leur faire croire que ce Dieu le favorisait.

Et Apion, qui donne son titre à l'ouvrage ? Josèphe l'épingle entre autres pour l'anecdote suivante. Antiochus Épiphane aurait, en visitant le temple de Jérusalem, trouvé un Grec, capturé par surprise alors qu'il n'avait rien fait de mal, séquestré, et depuis lors très bien nourri.

D'abord ce traitement qui lui apportait un bienfait inespéré lui fit plaisir ; puis vint le soupçon, ensuite la terreur ; enfin, en consultant les serviteurs qui l'approchaient, il apprit la loi ineffable des Juifs qui commandait de le nourrir ainsi ; qu'ils pratiquaient cette coutume tous les ans à une époque déterminée ; qu'ils s'emparaient d'un voyageur grec, l'engraissaient pendant une année, puis conduisaient cet homme dans une certaine forêt, où ils le tuaient ; qu'ils sacrifiaient son corps suivant leurs rites, goûtaient ses entrailles et juraient, en immolant le Grec, de rester les ennemis des Grecs (p74).

Où l'on retrouve donc, expressément reliés, deux thèmes majeurs du futur antisémitisme, sacrifice humain et haine de l'étranger.

(Les Belles Lettres, 1972)



22/11/2020
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