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Ma vie (Carl-Gustav Jung)

"J'ai donc entrepris aujourd'hui, dans ma quatre-vingt-troisième année, de raconter le mythe de ma vie". (quatrième de couverture). 

 

C'est une autobiographie écrite tardivement, pour témoigner plus que pour démontrer, en abordant toutes sortes d'aspects et pas seulement la psychopathologie, son coeur de métier. Carl-Gustav Jung (1875-1961) a donc plus qu'élargi l'inconscient un peu étroit de Sigmund Freud. Il le décrivait comme un fleuve où il avait trempé son chapeau et dont il avait tiré ainsi de l'eau… une eau dont il a couvert des milliers de pages. Difficile d'en donner autre chose qu'un aperçu, une ambiance. 

 

On trouvera des résumés de ses conceptions ailleurs. La deuxième édition que j'utilise comporte un glossaire des principaux concepts jungiens. Dont celui de "complexe", repris et restreint par Freud et Adler : 

 

Les complexes sont des fragments psychiques dont la dissociation est imputable à des influences traumatiques ou à certaines tendances incompatibles. Comme le prouvent les expériences d'association, les complexes interfèrent avec les intentions de la volonté et perturbent l'activité consciente ; ils provoquent des troubles de la mémoire et un blocage du flux d'associations ; ils apparaissent et disparaissent selon leurs propres lois ; ils peuvent obséder temporairement la conscience, ou influencer la parole ou l'action par une voie inconsciente. (p454) 

 

Sur l'enfance, déjà, sans le savoir, comme une affaire de réincarnation, à partir d'une statuette observée chez une tante : 

 

Or le personnage du vieux docteur avait des souliers à boucle que j'avais reconnus - c'est étrange - comme étant les miens ou leur ressemblant. J'en étais persuadé. "Ce sont mes souliers que j'ai portés." Cette conviction m'avait profondément troublé. (...) Je les sentais encore à mes pieds et je ne pouvais m'expliquer d'où venait cette bizarre sensation. Comme pouvais-je appartenir au dix-huitième siècle ? Il m'arrivait assez souvent à cette époque d'écrire 1786 pour 1886 et cela s'accompagnait toujours d'une inexplicable nostalgie. (p54) 

 

Ce thème de la réincarnation reviendra dans la suite. 

 

Sur la fameuse brouille avec Freud : 

 

J'ai encore un vif souvenir de Freud me disant : "Mon cher Jung, promettez-moi de ne jamais abandonner la théorie sexuelle. C'est le plus essentiel ! Voyez-vous, nous devons en faire un dogme, un bastion inébranlable". Il me disait cela plein de passion et sur le ton d'un père disant : "Promets-moi une chose, mon cher fils : va tous les dimanches à l'église !" Quelque peu étonné, je lui demandai : "Un bastion - contre quoi ?" Il me répondit : "Contre le flot de vase noire de..." Ici il hésita un moment pour ajouter : "... de l'occultisme !" Ce qui m'alarma d'abord, c'était le "bastion" et le "dogme" ; un dogme c'est-à-dire une profession de foi indiscutable, on ne l'impose que là où l'on veut une fois pour toutes écraser un doute. (p177) 

 

L'ouvrage est largement consacré à ce "flot de vase noire".

 

Freud eut un rêve, dont je ne suis pas autorisé à dévoiler le thème. Je l'interprétai tant bien que mal et j'ajoutai qu'il serait possible d'en dire bien davantage s'il voulait me communiquer quelques détails supplémentaires relatifs à sa vie privée. A ces mots, Freud me lança un regard singulier - plein de méfiance - et dit : "Je ne puis pourtant pas risquer mon autorité !" A ce moment même, il l'avait perdue ! Cette phrase est restée gravée dans ma mémoire. Elle préfigurait déjà pour moi la fin imminente de nos relations. Freud plaçait l'autorité personnelle au-dessus de la vérité. (p185) 

 

Les sollicitations des rêves peuvent être pressantes : 

 

En me réveillant après ce rêve, j'y réfléchis, mais il m'était impossible de le comprendre. J'essayai alors de me rendormir, mais une voix me dit : "Il te faut comprendre le rêve, et tout de suite !" Une impulsion intérieure me harcela jusqu'à un terrible paroxysme où la voix me dit : "Si tu ne comprends pas le rêve, tu dois te tirer une balle dans la tête !". Or, dans ma table de nuit, il y avait un revolver chargé et je fus pris de peur... (p210) 

 

Et donc il comprend : 

 

"Mais ce rêve traite du problème qui agite actuellement le monde !" Siegfried, pensai-je, représente ce que les Allemands voulaient réaliser, c'est-à-dire imposer héroïquement leur  propre volonté... (p210). 

 

Un psychiatre est couramment confronté à des drames. 

 

J'ai été particulièrement impressionné  par le cas d'un malade que j'avais tiré d'une dépression psychogène. Il était ensuite retourné chez lui et s'était marié. Mais sa femme ne me "revenait" pas. Quand je la vis pour la première fois, j'éprouvai un rien d'inquiétude. Je remarquai qu'en raison de l'influence que j'avais sur son mari j'étais sa bête noire. Il arrive souvent que les femmes qui n'aiment pas vraiment leurs maris soient jalouses et détruisent leurs amitiés. (p16) 

 

Cet homme tomba donc dans une nouvelle dépression. 

 

J'avais convenu avec lui - en prévision de cette éventualité - qu'il viendrait me trouver dès qu'il remarquerait un fléchissement de son humeur. Mais il n'en fit rien, et sa femme y fut pour quelque chose, parce qu'elle bagatellisait son humeur dépressive. (p164) 

 

Figurez-vous que j'ai une épouse qui me fait sérieusement penser à celle-là... ce genre d'ouvrage est à lire avec prudence. Quoi qu'il en soit, l'homme finit par se suicider, et Jung affirme en avoir eu un écho télépathique. 

 

Le chapitre De la vie après la mort est d'ailleurs empli de ces informations "télépathiques" sur des décès ou des personnes échappant de peu à la mort. Pendant qu'un de ses petit-fils manquait se noyer lui, dans un train, était obsédé par le souvenir d'une noyade à laquelle il avait assisté longtemps auparavant. Et puis des rêves : 

 

C'était un paysage héroïque, primitif. Tout à coup, j'entendis un sifflement strident qui semblait se répercuter à travers l'univers. De peur mes genoux vacillèrent. Alors, dans les taillis, un craquement, et un monstrueux chien-loup à la gueule effrayante sortit en courant. A sa vue, mon sang se figea dans mes veines. Il me dépassa rapidement et, soudain, je compris : le Chasseur Sauvage lui a ordonné de lui apporter un être humain. Je me réveillai dans une mortelle frayeur et la matin suivant je reçus la nouvelle que ma mère était morte. (p356) 

 

Autre rêve : 

 

(...)Je vis, tourné vers moi, un yogi dans la position du lotus, profondément recueilli. En le regardant de plus près, je vis qu'il avait mon visage ; j'en fus stupéfait et effrayé et je me réveillai en pensant : "Ah ! par exemple ! Voilà celui qui me médite. Il a un rêve, et ce rêve c'est moi". Je savais que quand il se réveillerait je n'existerais plus. (p369) 

 

Témoins, Gallimard, 1973 (1966 pour la première édition).



06/07/2012
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