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La force du bien (Marek Halter)

Vassili Grossman (voir Vie et Destin) a écrit : "Je ne crois pas au bien, je crois à la bonté". Marek Halter, né Juif polonais en 1936 puis réfugié en URSS, est plus optimiste :

Voilà sans doute ce que j'aurai découvert à travers mon voyage au pays des Justes : le Bien existe ; et cette disposition à la bonté que tout homme peut porter en lui, les pires systèmes totalitaires ne le détruiront jamais.

En rendant hommage à ces Justes, en restituant leurs témoignages longtemps passés sous silence, j'ai voulu créer une "mémoire du Bien". car le Bien est l'espoir. Et sans espoir, on ne peut vivre. [Quatrième de couverture]

Et donc, il a parcouru l'Europe, voire le monde, pour retrouver des gens qui, souvent en risquant gros, ont sauvé des Juifs pendant la Deuxième Guerre Mondiale.

Il y a eu des Justes allemands. Sur suggestion du Chancelier Willy Brandt, Halter rencontre Berthold Beitz. Ingénieur chargé de faire fonctionner des raffineries prises à l'URSS au début de Barbarossa, il assiste à certaines scènes.

"Un jour, en 1942, à la gare de Boryslaw, j'ai vu quelques centaines de Juifs qui attendaient dans le froid d'être embarqués par le train de Belzec. Parmi eux, il y avait beaucoup d'enfants dans un état lamentable. Une femme serrait une petite fille contre elle. L'enfant toussait de manière inquiétante. J'ai dit à l'officier SS qui surveillait le groupe qu'il fallait trouver un médecin au plus vite 'Là où ils vont tous, plus besoin de médecin' m'a-t-il répondu en riant". [p82]

Beitz réussira à faire croire qu'il a besoin de toujours plus de main d'oeuvre, et que les Juifs sont mieux qualifiés. Dénoncé, arrêté, il aura la chance de tomber sur un enquêteur de ses anciens amis et sera relâché.

Au Danemark, dont le gouvernement a démissionné, on apprend le 28 septembre 1943 qu'une rafle générale des Juifs est prévue pour la nuit du 1er au 2 octobre.

Aussitôt les Eglises, les intellectuels, une quarantaine d'associations caritatives, syndicales, politiques et confessionnelles unissent leurs efforts. Niels Bohr, Prix Nobel de physique, obtient du Roi de Suède qu'il accueille les Juifs danois. Et c'est alors, sans gouvernement ni roi (depuis la fin d'août Christian X a été placé en résidence surveillée par les nazis), tout un peuple qui organise, souvent dans l'improvisation mais avec un succès exemplaire, le sauvetage de la presque totalité des sept mille cinq cents Juifs du Danemark en les faisant passer en Suède à bord d'une armada de petits bateaux de pêche... [p136]

Tous les pêcheurs ne l'ont pas fait bénévolement, certains se sont fait payer, l'auteur commente :

Chose curieuse, bien loin de ce que j'aurais cru, le fait d'apprendre que certains pêcheurs danois n'ont pas risqué leur vie pour les Juifs tout à fait gratuitement me réjouit. Ils sont donc normaux, ces Danois ! Ils ont, eux aussi, leurs défauts, leurs petitesses, leurs mesquineries. [p138]

Necdet Kent était vice-consul de Turquie (neutre) à Marseille. Un jour, il apprend que quatre-vingt Juifs de nationalité turque ont été pris dans une rafle générale. Il se précipite avec son informateur à la Gare Saint-Charles. Tous deux écartent les SS pour monter d'autorité dans un des wagons à bestiaux remplis de Juifs. Le train démarre, s'arrête à Arles ou Nimes.

Ils m'ont présenté des excuses pour le départ du train, à Marseille, alors que j'y étais monté : c'était une erreur dont les responsables seraient punis. Je leur ai rétorqué que ce n'était pas une erreur, et qu'il était scandaleux que des citoyens turcs de confession juive aient été ainsi entassés dans des wagons à bestiaux ! (...) Ils me demandèrent si toutes celles et tous ceux qui m'entouraient dans le wagon étaient turcs. Je me souviens de ces regards d'hommes et de femmes, de ces yeux d'enfants suspendus à mes lèvres. (...) J'ai affirmé que tous étaient turcs. Finalement, les SS nous ont fait descendre du train et nous ont laissés là.[p207]

Comment devient-on un ou une Juste ?

Nous nous souvenons de cette Hollandaise, Henriette Kroon. A la question  : "Quand avez-vous décidé de sauver des Juifs ?" elle répond : "Je n'ai rien décidé. Un homme a frappé à ma porte. Il a dit qu'il était en danger. Je lui ai dit de rester, et il est resté jusqu'à la fin de la guerre. Il était le premier". [p154]

En France, contrairement au Danemark, on sait qu'il y a eu des traqueurs zélés de juifs (voir La délation sous l'occupation). Car il y a eu aussi des Justes, et même des villages entiers de Justes, qui ont recueilli jusqu'à des centaines de Juifs, malgré les risques énormes et la pénurie alimentaire générale.

Un chapitre sur l'attitude de l'Eglise Catholique.

En Italie, quelques cent soixante-dix prêtres ont payé de leur vie le fait d'avoir aidé et caché des Juifs. Nombre d ecouvent leur ont servi de refuges contre les rafles allemandes de l'automne 1943. (...) Ainsi, en dépit du silence de Pie XII, nombre d'hommes et de femmes de l'Eglise romaine n'ont pas craint d'apporter leur concours aux Juifs pourchassés. [p259]

Mais aussi :

Pourquoi sonnent-elles,
Pourquoi continuent-elles de sonner,
Ces cloches orgueilleuses qui nous terrifient ?

Cette chanson yiddish, je l'ai entendue pour la première fois dans la cour d'un immeuble de Varsovie où habitait mon grand-père Abraham. [p261]

Robert Laffont 1995



31/12/2013
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