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L'Islam dans le terrorisme islamique (Ibn Warraq)

Ibn Warraq (pseudonyme, le vrai nom ne devant pas être diffusé pour des raisons faciles à comprendre) est né en 1946 dans le Gujarat (ouest de l’Inde) dans une famille de commerçants (il a pu découvrir un jour, avec effarement, que certains de ses ancêtres avaient pu être mêlés au trafic d’esclaves dans l’Océan Indien). Sa famille a émigré l’année suivante vers le Pakistan nouvellement créé. Il s’est retrouvé en Angleterre pour étudier. L’influence de Bertrand Russell (Why I am not a Christian voir ICI) lui fait écrire Why I am not a Muslim, traduit en de nombreuses langues (Pourquoi je ne suis pas musulman, L’Age d’Homme, 1999). Il se réfère aussi beaucoup à Arthur Koestler comme ex-communiste dénonciateur du communisme, dont il cite volontiers, en le reprenant à son compte comme ex-musulman, ceci : « Vous détestez nos cris de Cassandre et vous nous refusez comme alliés, mais nous, ex-communistes, sommes les seuls de votre côté à savoir ce qui est en jeu ». 

 

Depuis la toute première génération de musulmans, à chaque fois que le pouvoir central islamique s’amollit, des gens, des mouvements, se dressent, s’insurgent, avec plus ou moins de violence, pour revenir aux fondamentaux. Ce livre est d’abord l’histoire très documentée de ces mouvements, depuis les premiers kharijites jusqu’à Daesh, et de leurs maitres à penser. 

 

Comme je le souligne tout au long de cet ouvrage, les mouvements de réforme, souvent violents, cherchant à restaurer un Islam parfait, ont existé depuis la fondation de la communauté musulmane d’origine – depuis des groupes comme les kharijites au huitième siècle, au mouvements à Bagdad au neuvième, dixième et onzième siècle, au mouvement qazidadeli à Istanbul au dix-septième siècle, qui influença Muhammad Ibn Abd Al-Wahhab (1703-1792), lequel fonda le wahhabisme, le mouvement nommé d’après lui dans le Najd, à l’intérieur de l’Arabie, au dix-huitième siècle, qui donna naissance à l’état saoudien.

 

Parmi ces fondamentaux, il y a bien sûr le djihad, clairement impulsé par le Coran.

 

Le but ultime est de placer l’humanité entière sous la férule de l’Islam et d’extirper l’incroyance. (S2. Al-Baqarah, La Vache, 193 : « Et combattez-les jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’association, et que la religion soit entièrement à Allah seul [wa-qatiluhum hatta la takuna fitnatun wa-yakuna d-dinu li-llahi] », et S8. Al-Anfal, Le Butin, 39). Le djihad expansionniste est un devoir collectif (fard’ala al-kifaya), qui est rempli si suffisamment de gens y prennent part. Si ce n’est pas le cas, l’Oumma entière est en état de péché.

 

Ce dernier point devrait suffire à faire réfléchir les gens qui se figurent que si des musulmans, aujourd’hui, ne soutiennent pas le djihad, c’est forcément qu’ils y sont et y seront toujours opposés par principe. Bien sûr, pour la Sunna, le djihad doit être ordonné par une autorité, typiquement le Calife. Il n’y a plus de calife depuis 1924… sauf chez Daesh.

  

Toutefois, cet objectif n’explique pas tout. Par exemple Ibn Al-Wahhab (1703-1792), qui fait l’objet d’un chapitre copieux, n’a jamais été concerné par le djihad expansionniste (ou alors contre les chiites…). En son temps le monde musulman était sur la défensive après les défaites et reculs infligés par les empires autrichien et russe. Mais il y a un autre djihad.

 

Un autre point essentiel, régulièrement invoqué par les contestataires, est l’injonction d’« ordonner le convenable et interdire le blâmable » (termes repris ici de la traduction plutôt édulcorée de Mohammed Hamidullah), qui a aussi sa source dans le Coran :

 

Que soit issue de vous une communauté qui appelle au bien, ordonne le convenable et interdit le blâmable. Ce seront eux qui réussiront (Coran 3:104). Vous êtes la meilleure communauté qu’on ait fait surgir pour les hommes, vous ordonnez le convenable, interdisez le blâmable, et croyez à Allah… (Coran 3:110). Les croyantes et les croyants sont alliés les uns des autres. Ils commandent le convenable, interdisent le blâmable, accomplissent la Salat, acquittent la Zakat et obéissent à Allah et à Son messager… (Coran 9:71). Etc.

 

Ibn Warraq explique :

 

Il y a un lien inexorable entre le principe d’interdire le Blâmable et la rébellion, et donc un lien qui a une grande importance à la lumière de la résurgence de l’Islam militant dans la seconde moitié du vingtième siècle. Les fondamentalistes islamiques croient fermement au retour de la tradition islamique, ce qui reste profondément pertinent pour tous les musulmans vivant dans le monde moderne. Donc, les doctrines médiévales de l’Interdiction du Blâmable continue de jouer un rôle essentiel pour orienter les actions des islamistes contemporains.

 

On pourrait penser que se rebeller contre l’autorité islamique en place est « blâmable ». Mais si cette autorité elle-même est blâmable, concrètement néglige la Charia, alors la rébellion devient un devoir analogue au djihad, donc un djihad. Cela implique que se faire tuer dans ce cadre équivaut au martyre et à la promesse du Paradis. C’était déjà le principe des premiers kharijites. C’était l’opinion de gens aussi prestigieux et influents, encore aujourd’hui, qu’Al-Ghazali (1058-1111) ou Ibn Taymiyya (1263-1328), reprise par tous les maitres à penser du djihadisme actuel.

 

Un long chapitre est donc consacré à l’ouléma hanbalite Ibn Taymiyya et à son rigorisme, son fondamentalisme au sens le plus fort. Il refusait par principe toute innovation (même si elle va dans le sens d’une plus grande piété), de la musique, des jeux d’échecs et autres qu’il lui arrivait de briser dans la rue. S’il pouvait, par une fatwa, dispenser du jeûne du Ramadan les soldats engagés dans le djihad contre les Arméniens, c’était que le Prophète lui-même l’avait fait lors de l’expédition de Khaybar. Ses opinions rigides ne lui valurent pas moins de six séjours en prison, pendant lesquels il reprenait agressivement ses codétenus et même les gardiens s’ils négligeaient leurs prières et autres devoirs religieux. La première fois, ce fut pour avoir protesté avec trop de véhémence contre la grâce accordée à un chrétien accusé d’avoir insulté le Prophète, et qui s’était tiré d’affaire en se faisant musulman (on comprend mieux l’affaire Asia Bibi…). Il s’opposa aux soufis, notamment à leur pratique de vénération des tombes de leurs saints, avec une telle vigueur qu’elle lui valut son dernier emprisonnement à Damas. Il mourut pendant cette détention, une foule immense assista à ses obsèques et, comme le note ironiquement Ibn Warraq, sa tombe devint l’objet d’une ardente vénération. Il fut l’inspirateur du mouvement protestataire qazidadeli en Turquie au dix-septième siècle, puis de Muhammad Ibn Al-Wahhab au dix-huitième. Son influence reste énorme, pas seulement parmi les djihadistes. C’est sous cette influence que les autorités saoudiennes ont détruit les souvenirs des proches du Prophète à Médine, ou que Boko Haram a fait de même avec les tombes de saints soufis à Tombouctou.

 

L’auteur ne se borne pas à raconter l’histoire de tous ces penseurs et mouvements. Il vise aussi à déconstruire méthodiquement, sur plusieurs pages, l’idée que l’actuelle recrudescence du djihad serait une réaction aux vilenies passées (Croisades, colonialisme) ou présentes (impérialisme, Israël) de l’Occident. 

 

Comme l’a écrit Tawfik Hamid, un ancien islamiste égyptien : «Non, aucun colonialisme n’a déclenché le djihad. Au contraire, quand les pays musulmans étaient colonisés [par l’Occident], la Charia et les crimes d’inspiration islamiste tendaient à diminuer significativement. En fait, les pays islamiques, à beaucoup d’égards, étaient plus civilisés sous l’occupation qu’ils ne le sont à présent. Nous n’avons jamais entendu parler d’attentats-suicides, ou d’attaques ou enlèvements visant des touristes, à cette époque».

 

Le Coran présente clairement un aspect d’exhortation ; ce n’est pas un texte tranquille, méditatif, invitant à l’expérience personnelle avec Dieu, mais un vigoureux appel aux armes – pour combattre et tuer, si nécessaire, au nom de Dieu, jusqu’à ce que l’Islam domine le monde. Il est constamment et largement cité par les djihadistes, car toutes leurs motivations et idéologies sont contenues dans ses pages.

 

Plus généralement, Ibn Warraq dénonce longuement le caractère totalitaire de l’Islam(isme), en se référant aux totalitarismes et spécialistes de référence : 

 

Quelles étaient les causes des horreurs perpétrées par Lénine, Staline, Hitler, Mao, Pol Pot ? Elles étaient, selon Isaiah Berlin, «non pas causées par les sentiments négatifs humains ordinaires, comme Spinoza les appelait – la peur, l’avidité, la haine tribale, la jalousie, la soif du pouvoir – même si bien sûr ceux-là ont joué leur rôle», mais «par une idée particulière. Il est paradoxal que Karl Marx, qui a minimisé l’importance des idées par rapport aux forces sociales et économiques impersonnelles, ait, par ses écrits, causé la transformation du vingtième siècle, à la fois vers ce qu’il voulait, et, par réaction, contre». 

 

Feu Georges-Henri Bousquet (mort en 1978), un professeur de droit à l’Université d’Alger puis à celle de Bordeaux, et une des autorités les plus reconnues sur la loi islamique, distingue deux aspects de l’Islam qu’il considère comme totalitaires : la loi islamique et la notion de djihad, lequel a pour but ultime la conquête de ce monde pour le soumettre à une seule autorité. 

 

Pour citer un autre grand spécialiste de la loi islamique, longtemps professeur d’arabe à l’Université de Leyde, Christiaan Snouck Hurgronje – la loi islamique a certainement visé à « contrôler la vie religieuse, sociale et politique de l’humanité dans tous ses aspects, la vie de ses fidèles sans qualification, et la vie de ceux qui suivent les religions tolérées, à un niveau qui les empêche de gêner l’Islam de quelque façon que ce soi. La nature omniprésente de la loi islamique ressort de ce qu’elle ne fait pas de différence entre rituel, loi (au sens européen du terme), éthique, et bonnes manières... ».  

 

Ibn Warraq conteste que le soufisme, en tant que tel, ait été et soit toujours une branche pacifique de l’Islam, comme beaucoup se le figurent. Il cite Wilfred Madelung : 

 

Le premier ordre soufi en Iran, et en Islam, était le Murshidiyya ou Kazaruniyya fondé par Abou Ishaq Al-Kazaruni, connu comme Cheikh-i Murshid (963-1035). Al-Kazaruni venait d’une famille pauvre de Kazarun, à l’ouest de Chiraz ; son grand-père avait été zoroastrien. Comme Ibn Karram, il représentait un ascétisme activiste, était un prêcheur éloquent et il convertit de nombreux zoroastriens à l’Islam. Ses sévices et sa conduite agressive envers les non-musulmans l’ont amené, avec ses disciples, à des conflits parfois violents avec la forte communauté zoroastrienne laissée par les autorités bouyides. Il prêchait le djihad contre les infidèles, et des groupes de ses disciples s’engagea dans les campagnes contre les chrétiens d’Anatolie.

 

Il rappelle aussi que Hassan Al-Banna, le fondateur de la Fraternité Musulmane, est passé, et a été formé en partie, par le soufisme. 

 

Le dernier tiers de l’ouvrage est consacré à l’histoire de l’islamisme djihadiste au vingtième siècle (et au début du vingt-et-unième), et en particulier de ses multiples théoriciens (Mawdudi, Al-Banna, Faraj, Al-Husseini, Qutb, Azzam, Malik, Khomeiny, Zawahiri, etc.). Il détaille par exemple l’implication du Mufti de Jérusalem Amin Al-Husseini dans la Shoah hitlérienne, et cite donc l’appréciation enthousiaste de Hassan Al-Banna sur Al-Husseini, après 1945 : 

 

Un grand accueil doit lui être réservé où qu’il aille, en reconnaissance de ses grands services pour la gloire de l’Islam et des Arabes… Quel héros, quel homme prodigieux ! Nous souhaitons apprendre que la jeunesse arabe, les ministres, les hommes riches, et princes de Palestine, Syrie, Irak, Tunisie Maroc et Libye soient dignes de ce héros. Oui, ce héros qui a défié un empire et combattu le sionisme, avec l’aide d’Hitler et de l’Allemagne. L’Allemagne et Hitler ne sont plus là, mais Amin Al-Husseini continuera la lutte...

 

Parmi les nombreux théoriciens du djihad dont les écrits et parcours sont décortiqués, le Pakistanais S K Malik mérite une place à part. Ibn Warraq le cite directement :

 

Le Coran nous donne un concept particulier de guerre totale. Il exige à la fois de la nation et de l’individu, d’être en guerre « in toto », c’est-à-dire, avec toutes leurs ressources spirituelles, morales et physiques… Pratiquées dans leur totalité, les dimensions coraniques de la guerre fournissent une totale protection aux armées musulmanes contre l’effondrement psychologique… C’est sur la force de notre foi, et la faiblesse de celle de nos ennemis, que nous pouvons faire nos plans et projets pour semer la terreur dans le cœur de nos adversaires. (Italiques ajoutées). 

 

Si ce n’est pas du totalitarisme, au sens le plus fort du terme, qu’est-ce qui le sera ? Ce texte, approuvé en son temps par les plus hautes autorités pakistanaises, a été trouvé sur les moudjahidin capturés ou tués en Afghanistan en 2001, traduit dans leurs langues respectives. 

 

On croit souvent qu’Anouar El Sadate, en Egypte, a été assassiné pour avoir fait la paix avec Israël. Ibn Warraq détaille le manifeste du groupe qui a commis l’attentat, et fait constater qu’il n’en est rien. 

 

Et donc, comme Johannes J.G. Jansen l’a relevé dans sa préface à sa traduction du Devoir négligé, ce manifeste, qui exprimait l’idéologie de ce groupe, « mentionnait très peu Israël, et même affirmait que la guerre contre le sionisme ennemi de l’Islam devrait être remise à plus tard, après qu’une plus importante question soit réglée. L’Egypte doit d’abord introduire la Charia, le système détaillé de loi islamique, dans la loi du pays… Réintroduction de l’application de la Charia, les assassins estimaient que cela passait avant tout autre devoir ». 

 

Quelques dizaines de pages sur l’Ayatollah Ruollah Khomeiny (dont le Livre Vert est traité ICI), les influences déjà radicales et violentes qu’il a reçues dans sa jeunesse. Et des extraits de ses discours véhéments : 

 

Ce mouvement qui du début à l’accomplissement a pris environ quinze, seize ans… dans lequel on a vu beaucoup de sang versé et de jeunes gens tombés… c’est notre conviction qu’il était seulement pour l’Islam. Je ne peux pas, et personne d’intelligent ne peut, imaginer qu’on puisse dire que nous avons donné notre sang pour que les melons soient moins chers, que nous avons sacrifié nos jeunes gens pour que les maisons soient moins chères. 

 

C’est pour l’Islam qu’une personne peut donner sa vie. Nos saints aussi ont donné leurs vies pour l’Islam, pas pour l’économie… Qu’une personne puisse vouloir un système économique et sacrifier sa vie pour que la situation économique s’améliore, ce n’est pas sérieux ! 

 

Autre discours typique de Khomeiny : 

 

Ceux qui ne connaissent rien à l’Islam prétendent qu’il déconseille la guerre… L’Islam dit : Tuez tous les incroyants, juste comme ils vous tueraient tous !! Cela signifie-t-il s’asseoir jusqu’à ce que [les non-musulmans] nous vainquent ? L’Islam dit : tuez pour le service d’Allah ceux qui veulent vous tuer ! Cela signifie-t-il se rendre [à l’ennemi] ? L’Islam dit : tout ce qu’il y a de bien existe par l’épée et à l’ombre de l’épée ! Les gens ne peuvent être rendus obéissants sinon par l’épée ! L’épée est la clé du paradis, qui ne peut être ouvert qu’aux saints guerriers ! Il y a des centaines d’autres psaumes et hadiths pressant les musulmans d’aimer la guerre et de combattre. Tout cela signifie-t-il que l’Islam est une religion qui déconseille la guerre aux hommes ? Je crache sur les âmes folles qui prétendent une telle chose... 

 

Le bilan, terrifiant, de ses répressions est aussi détaillé sur plusieurs pages. 

 

Et donc dans la conclusion : 

 

Il ne s’agit pas de griefs particuliers, ce n’est pas quelque chose que nous, en Occident, aurions fait. C’est simplement que nous n’acceptons pas le Coran comme la base d’une société modèle. Notre simple existence est une provocation suffisante. C’est le devoir des islamistes terroristes d’imposer une société régie par les lois de Dieu telle qu’elles sont promulguées par le Coran. Tout au long de l’histoire, les terroristes islamiques ont été galvanisés par les mêmes motivations : un désir de revenir à la pureté des ancêtres (salaf), un rejet des innovations (bida’), une rigoureuse adhésion au concept de tawdid (unicité de Dieu), le devoir de commander le Vrai et d’interdire le Faux et la nécessité de conduire le djihad, au sens militaire, pour l’amour de Dieu. Tous se réfèrent aux mêmes sources et avant tout au Coran. Tous invoquent les mêmes versets des mêmes sourates, page après page. 

 

Tatamis, 2018, voir le site de l'éditeur



03/05/2018
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