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Qui a écrit la Bible ? (Richard Friedman)

L'auteur n'est pas un marginal farfelu. Il a étudié puis enseigné (enseigne toujours aux dernières nouvelles) l'hébreu et l'exégèse biblique dans de prestigieuses universités américaines.

Je l'avais remarqué en librairie, je ne l'ai pas acheté. Il me semblait qu'il évitait les aspects les plus scandaleux, trop timoré, manque de mordant. Et puis son éditeur, devenu le mien, m'en a fait cadeau et j'ai pu voir que je me trompais.

Cela commence par l'histoire résumée de la prise de conscience, longtemps étouffée, que le Pentateuque (Genèse, Exode, Lévitique, Nombres et Deutéronome) ne peut avoir été dicté à Moïse par Dieu, et pas seulement le passage qui raconte l'enterrement de Moïse. Puis, la mise en évidence des fameuses quatre sources, la "thèse documentaire". J'ai résumé à mon tour cela dans cette page.

Cette "thèse documentaire", il ne craint pas d'en rectifier la forme la plus classique en vieillissant de plusieurs siècles la source dite "sacerdotale" ou P. Ce qui transparait, mais il se garde bien d'insister là-dessus, c'est que si on l'avait "rajeunie" c'est, consciemment ou non, pour masquer les très profondes divergences entre cette source et les autres. Il ne s'agit pas seulement de doctrine (par exemple, P ignore totalement les anges), mais aussi de privilégier une caste de prêtres (ceux prétendant descendre d'Aaron) contre une autre caste de prêtres (ceux prétendant descendre de Lévi).

Et puisque le titre du livre pose une question explicite, il y répond pour l'auteur biblique le plus prolixe, en analysant au préalable ses motivations. Car (on le savait depuis longtemps) Deutéronome, Josué, Juges, 1 et 2 Samuel, 1 et 2 Rois sont manifestement de la même main pour l'essentiel, à partir d'un document prétendument découverts au début du règne de Josias (2 Rois, 23) par le père de Jérémie, et inspirant une profonde réforme. Il remarque que l'on retrouve les idées et les expressions typiques de cette "histoire deutéronomique" chez Jérémie, puis estime que l'auteur recherché serait plutôt l'alter ego de ce dernier, Baruch. Contrairement à ses prédécesseurs (y compris son maître Frank Cross), Friedman juge probable que les rectifications apportées quelques décennies plus tard pour intégrer et expliquer la catastrophe finale (prise de jérusalem par les Babyloniens) sont de la même main.

Il se garde d'insister sur le caractère totalitaire de cette réforme de Josias, mais il ne le laisse pas totalement ignorer. De même, il mentionne discrètement mais il mentionne que cette histoire a été manifestement revue "à la Staline", on rectifiait a posteriori les prophéties qui se trouvaient contredites par l'histoire.

Josias, le héros culminant de l'histoire deutéronomique, était mort.

Le récit deutéronomique prenait une allure ironique, vingt deux ans après. Les Babyloniens avaient détruit et exilé Juda. Le royaume "éternel" avait pris fin. Le famille qui ne "ne serait jamais privée du trône" avait perdu le trône. Le lieu "où Yahvé fait habiter son nom" était brûlé. Et les choses qu'on disait exister "jusqu'à ce jour" n'existaient plus. Que faire de ce livre d'histoire optimiste qui culminait avec Josias ? Quelqu'un décida d'en faire une deuxième édition. (p149)

En bref ce quelqu'un a ajouté de petites touches dans le Deutéronome et dans 2 Rois pour faire comprendre que, malgré tous les mérites et toute la bonne volonté de Josias, son grand-père Manassé avait trop gravement offensé Yahvé...

Restait pour le Deutéronomiste exilé à écrire le final : le sort du peuple. Il rapporta que les Babyloniens déportèrent les derniers rois et des milliers d'individus à Babylone. Il rapporta enfin que le gouverneur désigné par l'empereur babylonien, Godolias, fut assassiné et que le peuple entier s'enfuit alors en Egypte. (p156)

Compte tenu de toutes les manipulations de texte qu'il lui prête, je présume que c'est par souci de "religieusement correct" que Friedman conclut en l'exonérant laborieusement de toute malhonnêteté :

L'historien deutéronomique a bâti son histoire sur le code de loi deutéronomique, qui était un document ancien, et qu'il peut bien avoir sincèrement attribué à Moïse lui-même. Il utilisa également d'autres documents anciens et, de tout cela, il fit un récit continu. Ses propres ajouts à cette histoire lui donnent continuité et sens. Ses derniers chapitres évoquent des événements dont il avait personnellement été témoin. Il n'y a rien d'une fraude dans tout cela. Au contraire, c'est une tentative sincère, de la part d'un homme sensible et talentueux, pour dire l'histoire de son peuple, et pour la rendre compréhensible. Comme historien, il rapporta l'héritage de son peuple. Comme prophète, il conçut son destin. (p 163)

Encore un exemple de ce que Friedman mentionne timidement, en le reléguant dans les notes :

Aussi extraordinaire que cela paraisse, il a été suggéré que, dans la version originale de cette histoire, Isaac était bel et bien sacrifié, et que les quatre versets en question [racontant l'intervention de l'ange et la substitution d'un animal à l'enfant] ont été ajoutés ultérieurement, lorsque la notion de sacrifice humain a été rejetée (peut-être par la personne qui a combiné J et E [les sources les plus anciennes]). Certes, l'expression "tu ne m'as pas refusé ton fils" peut signifier simplement qu'Abraham était prêt à sacrifier son fils. Mais on doit noter que le texte conclut (verset 19) : "Abraham revint vers ses serviteurs". Isaac n'est plus mentionné. Qui plus est, Isaac n'apparaît plus jamais comme personnage dans E. Il est intéressant de noter qu'une tradition midrashique a élaboré précisément cette notion qu'Isaac avait été réellement sacrifié. (p283)

Exergue, 1997.



15/05/2011
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