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Sur les traces de l'Homme des Neiges Russe (Dmitri Bayanov)

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Au départ, je me suis procuré la version en anglais. J'en ai rendu compte dans un article qui a donné à l'auteur l'idée de m'en confier la traduction française, enrichie. Cet article a été publié dans Cryptos Magazine de septembre 1998. Il m'a valu le redoutable honneur de me voir confier par Dmitri Bayanov la traduction française du livre dont il est question. Il est sorti en 2001 aux éditions Exergue sous le titre Sur les traces de l'homme des neiges russe (éditions Exergue, prix éditeur, 124F). Je l'ai faite, j'ai tenté de trouver éditeur, vu ma nullité en la matière j'ai fini par y renoncer, mais c'est l'éditeur qui est tombé lui aussi sur la version anglaise, et qui a pris aussi (et d'ailleurs avant) mon propre ouvrage sur le sujet (voir sur ce blog Sauvages et velus).

(Exergue, 2001).

 

En 1996 est sorti l'ouvrage "In the footsteps of the Russian Snowman" (Crypto-logos, Moscou, 240 pages bien illustrées), écrit pour la plus grande partie, et compilé pour le reste, par Dmitri Yourévitch Bayanov. Ce dernier a été un des principaux équipiers de Boris Porchnev (1905-1972), et on peut le considérer comme son successeur. Tout en ne manquant jamais de saluer la mémoire de son maître, Bayanov ne craint pas de s'en démarquer sur des points essentiels (en refusant l'abattage d'un "specimen", en refusant de considérer les hommes sauvages comme de simples animaux...). 
 

Un ouvrage ambitieux

Le titre est un peu inexact : il ne s'agit pas seulement de la déjà immense Russie, mais aussi d'autres républiques ex-soviétiques : Caucase, Asie centrale... et Ukraine (un cas en Crimée !). Comme aux Etats-Unis, l'extension géographique des observations est affolante. Pulvérisé, le vieil argument rassurant selon lequel il s'agirait toujours de régions "reculées". Le 6 novembre 1992, un géant velu était observé par un témoin "digne de foi" à... 37 kilomètres de Moscou. Mais c'est qu'en Russie, comme en Amérique, il faut prendre en compte le caractère particulièrement nomade des hominidés reliques, qui bien souvent ne restent que quelques jours dans une région où on n'en avait plus vu depuis des décennies. Et peut-être bien qu'ils s'adaptent de mieux en mieux à notre voisinage, et que contrairement à toutes les idées reçues leurs effectifs s'accroissent. Ce caractère nomade prend en défaut le fameux axiome de Bernard Heuvelmans selon lequel un animal inconnu ne l'est jamais des populations vivant dans la même région (aucun animal connu n'est à ce point nomade).

Cela donne des situations curieuses. 1988, le chercheur Leonide Yerchov rentre chez lui, à Mourmansk, d'une expédition au Tadjikistan (4000 kms). Il repart aussitôt, mais n'a plus que 150 kms à parcourir pour enquêter sur des observations répétées (dix jours d'affilée) d'un même géant velu, par de nombreux témoins, dans la presqu'île de Kola.

Il est peu question de biologie dans cet ouvrage. Pas d'études fouillées sur l'écologie, l'éthologie, etc. De même, on ne trouve pas de discussions étendues sur l'apparentement éventuel à tel ou tel hominidé fossile connu (contrairement à Porchnev qui ne voyait que des néandertaliens). C'est surtout le côté humain qui retient l'auteur. Certains le regretteront peut-être au nom de la sacro-sainte "crédibilité" que l'on prétend faire découler de la rigueur et de la précision. J'estime quant à moi qu'il n'y aura crédibilité que si on explique pourquoi les recherches piétinent à ce point. Ce n'est pas l'existence par elle-même de ces êtres qui est incroyable, c'est leur incognito. Or les récits rassemblés par Bayanov sont de ceux qui permettent d'esquisser des réponses. 
 

Notre repas... 

Le cas suivant est sans valeur pour la connaissance des hominidés reliques (circonstances imprécises, au mieux de seconde main, pas de description physique ni de comportement), mais hautement significatif, et aussi atroce, à un autre niveau. Cela se passe au début du vingtième siècle, aux confins du Kazakhstan et de la Chine. Un Kazakh vient d'acquérir un fusil de chasse. Il s'entend avec des amis chinois qui n'en ont pas et feront office de rabatteurs. Notre homme s'installe, attend. Pas de gibier, mais il voit une femme sauvage affolée et son enfant, qu'il laisse passer. Arrive un Chinois, furieux, qui lui demande : "Pourquoi n'as-tu pas tiré ?
- Tiré sur quoi ? Je n'ai pas vu de gibier.
- Devant toi, à l'instant.
- C'étaient une femme et son enfant ! Je ne tire pas sur les gens !
- C'était du gibier, et du très bon. Hier tu as partagé notre repas. Il était préparé avec la graisse de ce gibier..."
 
 

Coups de feu

Egalement plus que significative la mésaventure de Nikolaï Avdeyev, en 1986. Ce chercheur participe d'abord, l'été, à un groupe d'enquête dans l'extrême nord de l'Oural. La population est globalement très hostile à ces recherches, mais ils réussissent à convaincre quelques jeunes de coopérer et obtiennent plusieurs témoignages de première main, récents, sur les yagmorts (les hommes-des-neiges locaux). Avant de rentrer chez lui, à Tchéliabinsk, Avdeyev a donné son adresse à un de ses informateurs, dont il a fait un ami.

Un mois plus tard, il en reçoit une lettre, qui le fait retourner d'urgence, non sans d'énormes difficultés pour rassembler l'argent nécessaire et se libérer de son travail. Car son correspondant vient de voir toute une famille de yagmorts entrer dans une grotte qui lui sert manifestement d'abri permanent. Une longue marche conduit les deux hommes devant cette grotte, un soir d'octobre. Ils trouvent et moulent une trace fraîche de yagmort, se disposent à passer la nuit devant leur feu de camp. C'est alors qu'un coup de feu éclate tout près, puis plusieurs. Une balle renverse la gamelle de leur repas. Ils s'abritent comme ils peuvent. L'ami d'Avdeyev demande : "Que voulez-vous ?
- Fichez le camp d'ici, crie une voix dans l'ombre, vous n'avez rien à faire à cette grotte.
- D'accord, nous partons..."
Et que faire d'autre ? Avdeyev apprend que les yagmorts sont farouchement protégés par les gens du coin, pour des raisons plus ou moins religieuses. "Ils ne nous dérangent pas, nous ne les dérangeons pas..."

Sans prétendre juger qui que ce soit, il n'est peut-être pas indifférent de mentionner que Nikolaï Avdeyev était partisan d'abattre un yagmort.
 
 

Banlieue de Saratov 

Moins dramatique, cocasse, mais aussi frustrant. En septembre 1989, dans la région urbanisée de Saratov, sur la Volga, un groupe d'hommes sauvages de passage a été signalé par de nombreux témoins. Parmi ces derniers, une équipe de quatre hommes chargés de surveiller un immense verger. Au cours de leur ronde, ils tombent sur un homme velu. Cet être se trouve alors dans un état de conscience très particulier, puisqu'il se laisse faire et se montre même affectueux. Nos quatre héros réussissent à le ligoter (ils savent faire) et à le jeter dans le coffre de leur auto. Un homme-des-neiges capturé ! Ils téléphonent à la Milice, où quelqu'un leur répond sans le moindre enthousiasme : "Gardez-le, nous verrons ça demain..." Ils se disposent à faire ainsi, reprennent la route. Mais peu après, tout change. Le prisonnier s'agite, brise ses liens, paraît tout près de démolir le véhicule. Ils ne voient bientôt d'autre solution, pour préserver leur bien le plus précieux, que de relâcher leur prisonnier. Il faudra désinfecter la voiture pour en éliminer la puanteur.

Le commentaire de Dmitri Bayanov : "Il semble qu'à chaque occasion qui se présente d'apporter un point final à la question des hommes sauvages, apparaît inévitablement et presque surnaturellement la malchance. L'explication prosaïque est que pour les personnes concernées l'intérêt de garder un specimen, mort ou vif, ne saute pas aux yeux, tandis que les inconvénients et les ennuis immédiats ne sont que trop évidents."
 
 

Homme ou animal 

L'auteur ne se contente pas d'accumuler de tels récits. Il pose nettement les problèmes éthiques, qui ne se limitent pas au problème du droit ou non de tuer un sauvage velu. La question est aussi posée des risques courus par les chercheurs. On assiste à une discussion passionnée suscitée par l'initiative (trop?) courageuse d'une jeune participante ukrainienne à une expédition au Tadjikistan. Alors qu'un géant velu rodait tous les soirs autour du campement sans vraiment se montrer, elle s'était isolée de nuit pour mieux l'attirer, et l'avait vu s'approcher, puis repartir.

Sur la question de l'humanité ou non des hominidés reliques, Bayanov défend depuis longtemps une position "de compromis", en leur attribuant un statut ni humain, ni animal, mais "superanimal", rejoignant l'Américain Jim McClarin qui parle, lui, de "manimal".

Notre auteur n'élude pas un aspect délicat. Si, dans la majorité des cas, les hommes-des-neiges paraissent avoir un comportement purement animal (au moins à nos yeux), certaines exceptions vont loin. En 1974, dans l'Oural, un adolescent a vu de nuit un couple de velu :
- frotter de façon répétée des cailloux pour en tirer des étincelles,
- sortir quelque chose d'une sorte de boîte en écorce de bouleau,
- se parler (bien sûr, pas dans une langue connue du témoin).
Bayanov rapproche ce dernier point du témoignage classique du Canadien Albert Ostman, discrédité notamment parce que lui aussi avait prêté le don de la parole à sa famille de sasquatches.

Marie-Jeanne Koffmann (dont les travaux sont bien sûr abondamment cités) a découvert que les almastys du Caucase se revêtent couramment de manteaux volés à des bergers, et sont aussi capables de raviver un feu de camp abandonné. A noter que Boris Porchnev, dans "L'Homme de Néanderthal est toujours vivant", a littéralement censuré ces éléments (puisqu'il cite par ailleurs in extenso certains témoignages où ils apparaissent, celui de Kochokoiev par exemple pour le vêtement).

Contact daruc@daruc.fr

 



02/10/2023
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