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Notre frère des ténèbres : le rat (Michel Dansel)

On appelle classiquement "anthropocentrisme" le fait d'attribuer abusivement des caractères, comportements, etc. humains aux animaux. Frans De Waal a lancé le terme "anthropodéni" (anthropodenial in English) pour désigner l'excès inverse, refuser d'utiliser des termes comme "indignation", "politique", pour désigner ce qui en relève manifestement chez des animaux. C'était une parenthèse, voire une antithèse, l'ouvrage dont il est question ici donne avec constance, ostentation et délectation, dans l'anthropocentrisme le plus débridé, il en est un modèle.

Et donc au menu le rat à travers l'histoire, les continents, l'art, la culture, la religion, les mythes, etc. Et toujours, et surtout, la défense du rat. Et l'illustration de son intelligence, en dédaignant toutefois l'expérimentation :

Quand nos psychologues nous entretiennent sur l'intelligence de cet animal, ils nous parlent du rat de laboratoire, c'est-à-dire du rat en milieu carcéral, de celui qui a le mieux répondu à leurs tests. Un individu que l'on soustrait aux embûches du quotidien, avec tout ce que cela comporte de périlleux pour un surmulot, et aux multiples formes d'agressions rencontrées en milieu ouvert, et que l'on aliène, deviendra peut-être un pur esprit, mais à coup sûr un infirme.(...) De nombreuses études, notamment aux Etats-Unis, ont été publiées sur l'intelligence du rat aliéné ; je ne nie pas leur importance ni leur intérêt, mais, d'un point de vue affectif, aux sous-produits de la race je préfère nos vaillants rats d'égoût. (p21)

Illustration parmi d'autres :

Pour vider une bouteille d'huile, les rats forment une pyramide. Celui qui se trouve au sommet vient à bout du bouchon à l'aide de ses griffes et de ses dents puis il introduit sa queue dans le col de la bouteille, après quoi il la retire et la donne à sucer à ses copains, et ainsi de suite. Quand sa queue ne touche plus le niveau, les malicieux se mettent à pousser tous du même côté et parviennent ainsi à renverser la bouteille. Pour la joie de tous l'huile se répand. (p23)

L'histoire suivante, très triste, peut laisser perplexe, elle est donnée sans source :

Un jour, deux petits rats se promenaient benoîtement côte à côte. Soudain retentit un coup de carabine. L'un des deux promeneurs, touché à mort, s'écroula. L'homme, qui commit ce crime, allait en commettre un autre, mais il remarqua que le rat qu'il n'avait pas tué venait de s'immobiliser. Avec précaution, il s'approcha de lui et constata qu'il était aveugle. Quant à celui qui gisait sur le sol, il tenait dans son museau une brindille pour guider son compagnon de cécité. (p25)

L'auteur montre peu de compassion pour les victimes humaines de nos "frères approximatifs" (âmes sensibles, tenez-vous pour averties, bon appétit si vous passez à table...) :

Certains rats-grenouilles, formés à l'école des commandos de la marine de Ratopolis, n'hésitent pas à s'introduire dans un appartement en empruntant les canalisations des WC. Ils ressortent par la cuvette ; si celle-ci se trouve envahie par un postérieur confiant au moment où le gaspard débarque du siphon, l'animal, assurément désappointé par la hideur du spectacle, rebroussera chemin. Mais, par vengeance, il risque de vous mordre la peau des fesses, le dahlia ou les coloquintes ! (p46)

Dans le même esprit, pour que ce soit encore plus clair :

Si vous croisez un rat dans l'escalier, en supposant que vous montiez et que lui descende, soyez courtois : aplatissez-vous, soit contre le mur, soit contre la rampe, faites comme s'il s'agissait d'un grand maître en n'importe quoi !

Dans le code du savoir-vivre ratier, c'est toujours l'homme qui s'efface devant l'animal même si ce dernier occupe, dans sa société, une fonction sociale inférieure à la vôtre. Ainsi, un ministre-homme fera un écart devant un manoeuvre-rat. (p48)

Plus sympathiques, les apprivoisements de rats, notamment par des prisonniers, comme Latude (détenu 35 ans pour avoir tenté de duper la Pompadour, et célèbre pour ses évasions manquées). Alors qu'il avait déjà laborieusement attiré un couple :

Quelque temps après, il s'en présenta un troisième : celui-ci fit moins de cérémonie ; dès sa seconde visite, il fut de la famille et parut s'en trouver si bien qu'il voulut que ses camarades partageassent mon amitié et mes faveurs ; le lendemain, il vint accompagné de deux autres. Ceux-ci, dans le courant de la semaine, en amenèrent cinq ; de sorte que, dans moins de quinze jours, notre société fut composée de dix gros rats et de moi. Je leur donnai à chacun un nom, ils ne tardèrent pas à le retenir et à se reconnaître quand je les appelais ; ils venaient manger avec moi dans le plat ou sur mon assiette, mais je me trouvais assez mal de cette licence et je fus forcé de leur mettre un couvert à part pour éviter leur malpropreté. (p41)

Il conseille de l'imiter, même si on n'est pas détenu :

A l'occasion de dîners mondains vous vous taillerez un franc succès quand, par exemple, la maîtresse de maison, qui, avec le cristal et l'argenterie, aura mis les petits plats dans les grands, entrera dans la salle à manger avec un plat particulièrement fin, suivie de quelques surmulots bien dodus...

Evitez de laisser votre bibliothèque entre les pattes de vos petits protégés. Plus évolués que nous ils ne lisent pas un livre de temps en temps ; eux, ils dévorent ! (p43)

La conclusion est une lettre ouverte :

Cher ami et défenseur de notre peuple,

Au nom de la ratocratie universelle et les auspices de tous les surmulots et rats noirs de l'Univers, c'est en ma qualité de Président de la République de Ratopolis qu'il me fait joie de vous adresser cette messagère. (...)

Aussi, notre grand et Suprême Conseil du rite norvegicus, a-t-il décidé de vous élever au 34ème degré de l'Ordre de la queue de rat de Ratopolis.

Nous avons constaté avec bonheur qu'il n'y a qu'une famille de rats que vous ne défendez pas. C'est le rongeur bipède français ou d'un type approchant qui sait tout, qui connaît tout, qui a tout vu et qui la ramène sans cesse! Je vous parle, cher Ami, du gégène de comptoir qui ne voit pas plus loin que son tiercé, mais également de la bécassine cosmétiquée, raciste, dédaigneuse et, bien entendu, ennemie du peuple des rats. (...) (p184)

Critérion 1994



03/04/2011
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