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Licet perfidia Judaorum (Pape Innocent III)

En français : "La perfidie des juifs est permise". Cette bulle date de 1199. Elle a défini la position de l'Eglise Catholique vis-à-vis des juifs jusqu'à Pie XII inclus. Précisons que le mot "perfidia" n'avait pas le sens actuel de "perfidie" mais le sens étymologique de "foi détournée". Le passage essentiel : 

 

[Aucun chrétien] ne les saisira, emprisonnera, battra, blessera, torturera, mutilera, tuera, frappera à coup de bâton ou de pierres ni ne leur infligera de violences… (…) Comme Caïn, on ne doit jamais les exterminer : au milieu des autres nations ils doivent garder leur race et leur qualité de peuple. Ils confirment ainsi par la malédiction pesant sur eux la mort et la victoire de Jésus-Christ et sont le témoignage vivant de sa vérité.


-cité par Paul Giniewski La croix des juifs, MJR 1974, p118).

 

Les conséquences, je les ai résumées ainsi dans La source de l'antisémitisme  :

 

La Bible sert naturellement de référence avec Caïn, resté impuni après le premier meurtre selon le quatrième chapitre de la Genèse.

On retrouve ce principe plusieurs siècles après, par exemple chez Jacques Bossuet, le plus influent représentant de l’Église de France en son temps. Il devait donc apporter des réponses à toutes les questions essentielles, y compris à la question des Juifs, et pourquoi ces derniers étaient tellement méprisés, et en même temps si bien acceptés. Cette acceptation était certes relative, mais néanmoins pas simple à justifier quand on prêchait par ailleurs pour la révocation de l’Édit de Nantes et donc l’interdiction du Protestantisme. Car à ce dernier on reprochait justement de se rapprocher sur certains points du Judaïsme, notamment un certain retour à la Bible. Paradoxe redoutable, dont il se sort facilement.

 

Par ce profond conseil de Dieu, les Juifs subsistent encore au milieu des nations, où ils sont dispersés et captifs ; mais ils subsistent avec le caractère de leur réprobation, déchus visiblement par leur infidélité des promesses faites à leurs pères, bannis de la Terre promise, n’ayant même aucune terre à cultiver, esclaves partout où ils sont, sans honneur, sans liberté, sans aucune figure de peuple[1].

 

« Bannis de la Terre promise », la Bible est bien là.

Bossuet n’était donc pas particulièrement ouvert et tolérant (euphémisme). Blaise Pascal l’était bien davantage : il s’adressait expressément aux incroyants de son temps, et ce sans haine, sans mépris, sans colère, sans impatience. Plutôt rare à l’époque. Néanmoins, s’agissant des Juifs, il disait en gros la même chose :

 

C’est une chose étonnante et digne d’une étrange attention de voir ce peuple subsister depuis tant d’années, et de le voir toujours misérable : étant nécessaire pour la preuve de Jésus-Christ, et qu’il subsiste pour le prouver, et qu’il soit misérable, puisqu’ils l’ont crucifié[2].

 

Les Juifs n’étaient donc utiles, justifiés, autorisés à rester juifs, qu’en étant misérables. Si donc un esprit aussi brillant que Pascal pouvait réduire leur sort et leur destin à ce qu’on pouvait tirer de la Bible, qu’attendre d’un intégriste fanatique ?

Le problème juif n’en était pas vraiment un du reste pour Bossuet, Pascal, et leurs contemporains. Ou plutôt il était supposé réglé au mieux, et une fois pour toutes. Au demeurant, ces citations sont isolées, ils en parlent peu. Ou alors, dans un but de moralisation. Ainsi Bourdaloue :

 

La mort dans le péché, la mort avec le péché, la mort même, comme il arrive souvent, par le péché, voilà, mes chers auditeurs, ce qui m’effraie, et ce qui doit vous effrayer comme moi : voilà ce que Dieu a de plus terrible dans les trésors de sa colère ; voilà de quoi le Fils de Dieu menace aujourd’hui les Juifs, et de quoi nous avons aussi bien que les Juifs à nous préserver[3]

 

De même Massillon :

 

Voici l’Homme [Jésus], ecce Homo. Ce spectacle peut-il vous laisser insensibles ? Faut-il qu’Il monte encore sur le Calvaire ? Voulez-vous mêler vos voix à celles des perfides Juifs, et demander encore qu’on Le crucifie ?[4]

 

Il n'empêche que, globalement, les juifs ont été laissés libre de maintenir leur "perfidie", et globalement protégés, sinon ils auraient disparu comme ont disparu toutes les autres religions ayant précédé le Catholicisme dans son pré carré. Bien sûr, ils ont été souvent fort maltraités voire massacrés au long des siècles, mais jamais à l'instigation des papes. Ces derniers, conformément à la bulle d'Innocent III, les ont toujours protégés, ont toujours protesté contre les sévices qu'ils subissaient. Mais... sans jamais en faire une priorité. Et il en était encore ainsi pour Pie XII face au nazisme. Il a protégé ou mis à l'abri les Juifs qu'il était en mesure de protéger ou mettre à l'abri, mais ses protestations n'ont pas été à la hauteur. Il était pourtant capable de la plus grande véhémence, par exemple quand les alliés se sont approchés de Rome et que l'on pouvait craindre des combats destructeurs : "Quiconque oserait porter la main sur Rome serait coupable de matricide aux yeux du monde civilisé et dans les jugements éternels de Dieu". Après, s'agissant de son attitude par rapport aux Juifs, à vous de voir si vous la jugez "mieux que rien" ou "pas assez".

 

[1] Bossuet, Discours, II, XX, cité par Paul Giniewski, La croix des juifs, MJR, 1994.

[2] Blaise Pascal, Pensées.

[3] Cité par Léon Poliakov, Histoire de l’antisémitisme, t1, Calmann-Lévy 1955 p342 dans l’édition de poche 1981.

[4] Idem p343.



11/09/2016
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