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La Décision (Bertold Brecht)

Vers 1930, quatre agitateurs du Komintern rentrent à Moscou pour rendre compte à leurs chefs après une mission en Mandchourie. Cette mission, eux-mêmes la résument ainsi à un moment, pour des responsables locaux qui leur demandent des armes ou des équipements :

C'est vrai, à vous nous n'apportons rien. Mais aux travailleurs chinois, à Moukden, de l'autre côté de la frontière, nous apportons les enseignements des classiques et des propagandistes : l'abc du communisme ; à ceux qui sont dans l'ignorance, la connaissance de leur condition ; aux opprimés la conscience de classe, et aux ouvriers l'expérience de la Révolution (...).

Le début de la pièce :

Le choeur des juges : Soyez les bienvenus ! Votre travail a porté ses fruits ; encore un pays
Où la révolution va de l'avant, où les rangs des travailleurs sont en bon ordre.
Nous sommes d'accord avec ce que vous avez fait.
Les quatre agitateurs : N'allez pas trop vite : nous avons quelque chose à vous dire ! Nous annonçons la mort d'un camarade.
Le choeur des juges : Qui l'a tué ?
Les quatre agitateurs : Nous. Nous l'avons fusillé et jeté dans une fosse à chaux.

Et ils racontent, et même ils jouent les divers épisodes, chacun d'eux jouant à son tour les rôles des absents et bien sûr du défunt. Ce dernier, "le jeune camarade", était absolument aussi idéaliste et désintéressé qu'eux, seulement il était naïf. Il a donc accumulé les bévues. Chargé de négocier avec un trafiquant d'armes, il n'a pu s'empêcher de stigmatiser son cynisme et son immoralité, donc les armes sont passées sous le nez du groupe, et le reste à l'avenant. Car c'est un impatient.

Le jeune camarade : Les sans-travail ne peuvent plus attendre, et moi
Non plus je ne peux plus attendre.
Il y a trop de miséreux.
Les trois agitateurs : Mais encore trop peu de combattants.
Le jeune camarade : Leurs souffrances sont inouïes.
Les trois agitateurs : Il ne suffit pas de souffrir.

Le dernier impair du malheureux fait que s'il est retrouvé, mort ou vif, par la police, tout leur travail sera anéanti. Aucun moyen de le cacher. Après avoir désespérément cherché une autre solution, pressés par le temps, ils prennent cette décision qui donne son titre à la pièce, d'où la scène :

Le premier agitateur (au jeune camarade) : S'ils te prennent, ils vont te fusiller, et comme ils t'auront reconnu, notre travail sera découvert. Donc il faut que nous te fusillions nous-mêmes et te jetions dans la fosse à chaux, afin que la chaux te dévore. Mais nous te demandons : connais-tu une autre issue ?
Le jeune camarade : Non.
Les trois agitateurs : Alors nous te demandons : es-tu d'accord ?
Silence.
Le jeune camarade
: Oui.
Les trois agitateurs : Que devons-nous faire de toi, avons-nous demandé.
Le jeune camarade : Me jeter dans la fosse à chaux, dit-il.
Les trois agitateurs : Nous lui avons demandé : veux-tu le faire toi-même ?
Le jeune camarade : Aidez-moi.
Les trois agitateurs : Appuie ta tête sur notre bras (...)

Et les "juges" conviennent qu'ils ont bien fait. Bref, on est en pleine hagiographie avec rédemption par la mort. Brecht a pu revenir de ses illusions sur le communisme puisqu'après la répression des émeutes ouvrières en Allemagne de l'Est, en 1953, il a réussi à diffuser ce poème : 

J'apprends que le gouvernement estime que le peuple a "trahi la confiance du régime" et "devra travailler dur pour regagner la confiance des autorités". A ce stade, ne serait-il pas plus simple de dissoudre le peuple et d'en élire un autre ? 



28/06/2009
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