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L'Homme de Neanderthal est toujours vivant (Heuvelmans & Porchnev)

L'ouvrage qui m'a le plus influencé, qui me tient le plus à coeur après les miens, et pourtant il m'a longtemps intimidé.

Il a été réédité en 2011, ce qui était attendu et espéré depuis longtemps. Je devrais féliciter les nouveaux éditeurs pour leur travail et leur courage, je n'y arrive pas totalement à cause de certains oublis consternants. C'aurait été la moindre des choses de signaler que le premier des co-auteurs a eu un continuateur, qui a pu aussi publier un ouvrage en France (et je le déplore d'autant plus que j'en suis le traducteur, voir http://pagesperso-orange.fr/daruc/dmitri.htm). Autre omission consternante, l'affaire qui fait l'objet de la deuxième partie a eu des suites qui ne sont quasiment pas évoquées (et il eût mieux valu ne pas les évoquer du tout). On ne mentionne même pas que le principal protagoniste, Frank Hansen, est décédé en 2003.

J'ai présenté ainsi  Boris Fiodorovitch Porchnev (1905-1972) dans Sauvages et velus :

Cet académicien (ce n'était pas rien en URSS), philosophe et historien, spécialiste distingué de la révolution française, et surtout marxiste bon teint, avait une idée bien arrêtée. Il entendait faire triompher le matérialisme en faisant rentrer, une bonne fois pour toutes, "la conscience humaine dans un système de causalité naturelle". On en pensera ce qu'on voudra.

Cette véritable quête le conduisit, dans les années 50, à s'intéresser aux hommes de la préhistoire. Et comme il ne faisait pas les choses à moitié il prit part aux fouilles de Téchik Tach, en Ouzbékistan. Car on venait d'y trouver le squelette d'un enfant néandertalien. Et il découvrit, à l'étonnement des spécialistes du problème, un aspect inattendu qu'il devait résumer ainsi :

Il y avait là-bas une quantité énorme d'ossements de bouquetins. Après avoir soigneusement étudié la biologie de ces ongulés, et leur rôle dans l'écologie locale, j'étais arrivé à la conclusion, au grand ahurissement des préhistoriens, que les néandertaliens étaient parfaitement incapables de tuer ces acrobates des défilés montagneux, même en les poussant à se précipiter dans le vide...

Or ces Techik tachiens avaient bel et bien fait du bouquetin leur alimentation principale. Comment donc, selon Porchnev ? Tout simplement, horreur, comme des charognards, en laissant opérer la panthère des neiges, et en attendant qu'elle ait prélevé les meilleurs morceaux (le yéti aussi s'assure la coopération de la panthère des neiges, ainsi que l'a appris Robert Hutchison). Il suffisait alors d'écarter les vautours et autres corbeaux, ce qui était facile. C'était déjà un sérieux accroc à l'image traditionnelle "héroïque" du néandertalien. Mais Porchnev devait faire bien pire.

Or, quelques années plus tard, l'hydrologue A.G. Pronine déclara à la presse qu'il avait vu un homme-des-neiges, de loin, au Pamir, dans une vallée dite précisément "des mille bouquetins" (Baliand Kyik). Donc dans une région très voisine. L'éclair, l'illumination, et notre Porchnev, persuadé qu'il détenait là l'arme absolue, devait consacrer tout le reste de son existence à la recherche passionnée de ces hommes-des-neiges. Lui-même admet que cette coïncidence des bouquetins est accessoire, voire purement fortuite (d'autant qu'on n'en trouvait quasiment plus dans ladite vallée au moment de l'observation de Pronine), mais tel a bien été le déclic décisif.

Car pour lui ces hommes-des-neiges ne pouvaient être que des néandertaliens et, disons-le de suite, des animaux. Vous avez bien lu, les néandertaliens, des animaux et rien d'autre. Et Porchnev ne soutenait pas, comme son ami Heuvelmans, que c'est un faux problème car l'Homme est de toute façon un animal.

En remontant à la source, on se rend compte que notre académicien a éludé certains détails qui n'allaient pas dans son sens. J'en ai donné maints exemples dans Sauvages et velus :

(...) Le dernier exemple d'omission, le plus troublant, concerne le Caucase et le témoignage de Kochokoïev déjà cité. La goubganana qui a faussé compagnie aux cavaliers médusés était habillée ! Elle portait un caftan de berger en loques. C'est l'incontournable Marie-Jeanne Koffmann qui nous l'apprend, et que ce n'est pas un cas unique, même si ce n'est pas non plus le plus fréquent. Il arriverait même que des almastys volent les vêtements des hommes pour les enfiler.

Au départ, Porchnev situait les "paléanthropes reliques" dans les régions les plus désertiques, reculées et difficiles d'accès, de l'Asie centrale soviétique. Il a dû peu à peu reculer, étendre ces zones. Il a eu toutefois beaucoup de mal à accepter le Caucase, il a fallu semble-t-il le témoignage très classique du médecin militaire Karapétyane : en décembre 1941, pendant la bataille de Moscou donc, on a fusillé comme déserteur un étrange bonhomme poilu, dont la description très précise ne faisait guère de doutes. Son héritier Dmitri Bayanov se montrera moins frileux et n'hésitera pas à juger crédibles des observations aux abords de Saratov, où un sauvage poilu aurait passé quelques heures dans le coffre d'une voiture, ou Moscou. Il est vrai qu'entretemps le Bigfoot nord-américain se sera montré dans des endroits tout aussi impensables.

Le Caucase livrera d'ailleurs d'incroyables histoires d'apprivoisements d'almastys... et notre auteur avoue avoir manqué l'occasion d'en acheter un (plus précisément une femme ou femelle).

J'ai repris bien d'autres anecdotes rapportées par le livre dans Sauvages et velus, quelques extraits (fondés sur la peur éprouvée par nombre d'observateurs) dans http://pagesperso-orange.fr/daruc/peur.htm et d'autres pages du site.

L'ouvrage plonge aussi dans le passé, et même dans l'antiquité, avec notamment diverses représentations.

La deuxième partie par Bernard Heuvelmans est un exposé de l'affaire Iceman ou de l'homme congelé du Minnesota. J'en ai fait un bref résumé, avec mon point de vue, sur http://pagesperso-orange.fr/daruc/cerf.htm et plus longuement dans Sauvages et velus. En bref, je considère que Bernard Heuvelmans a commis de lourdes erreurs, en ne prenant pas au sérieux les réticences et les craintes de Frank Hansen, en traitant par le mépris la "version Saga" qui pour moi représente probablement la vérité (et les versions alternatives non crédibles répondaient à un besoin bien réel). Ne voulant surtout pas lui jeter de pierre, j'ajoute qu'il y avait de quoi perdre la tête et que je l'aurais probablement perdue à sa place, à moins que je me sois enfui comme beaucoup.

Conclusion (lyrique) de l'ouvrage :

Abel n'est pas mort. Il a survécu à ses blessures. L'occasion nous est donnée aujourd'hui de ne pas l'achever, de ne pas l'assassiner à nouveau. Ne nous laisserons-nous pas émouvoir par l'oeil, doux et craintif, qu'il pose sur nous du fond d'une tombe déjà creusée ? Ce serait pourtant le moyen d'échapper enfin au remords de Caïn, le tueur, d'effacer la malédiction qui pèse sur notre espèce.



03/09/2011
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